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de lumière brillante flotte comme une gaze autour de ses vers; il est toujours élégant, souvent gracieux. Cette grâce est comme le parfum qui s'exhale du monde; les fraîches toilettes, les salons parés, l'abondance et la recherche de toutes les commodités délicates mettent dans l'âme une sorte de douceur qui se répand au dehors en complaisances et en sourires; Waller en a, et des plus caressants, à propos d'un bouton, d'une ceinture, d'une rose. Ces sortes de bouquets conviennent à sa main et à son art. Il y a une galanterie exquise dans ses stances à la petite lady Lucy Sidney sur son âge. Et quoi de plus attrayant pour un homme de salon, que ce frais bouton de jeunesse encore fermé, mais qui déjà rougit et va s'ouvrir? « Pourtant, charmante fleur, ne dédaignez pas

cet âge que vous allez connaître si tôt; le matin << rose laisse sa lumière se perdre dans l'éclat plus « riche du midi1. » Tous ses vers coulent avec une harmonie, une limpidité, une aisance continues, sans que jamais sa voix s'élève, ou détonne, ou éclate, ou manque au juste accent, sinon par l'affectation mondaine qui altère uniformément tous les tons pour les assouplir. Sa poésie ressemble à une de ces jolies femmes maniérées, attifées, occupées à pencher la tête, à murmurer d'une voix flûtée des choses communes qu'elles ne pensent guère, agréables pourtant

L

Yet, fairest blossom, do not slight

The age which you may know so soon.

The rosy morn resigns her light

And milder glory to the noon.

dans leur parure trop enrubannée, et qui plairaient tout à fait si elles ne songeaient pas à plaire toujours.

Ce n'est pas qu'ils ne. puissent toucher les sujets graves; mais ils les touchent à leur façon, sans sérieux ni profondeur. Ce qui manque le plus à l'homme de cour, c'est l'émotion vraie de l'idée inventée et personnelle. Ce qui intéresse le plus l'homme de cour, c'est la justesse de la décoration et la perfection de l'apparence extérieure. Ils s'attachent médiocrement au fond, et beaucoup à la forme. En effet, c'est la forme qu'ils prennent pour sujet dans presque toutes leurs poésies sérieuses; ils sont critiques, ils posent des préceptes, ils font des arts poétiques. Denham, puis Roscommon, dans un poëme complet, enseignent l'art de bien traduire les vers. Le duc de Buckingham versifie un Essai sur la poésie et un Essai sur la satire. Dryden est au premier rang parmi ces pédagogues. Comme Dryden encore, ils se font traducteurs, amplificateurs. Roscommon traduit l'Art poétique d'Horace, Waller le premier acte de Pompée, Denham des fragments d'Homère, de Virgile, un poëme italien sur la justice et la tempérance. Rochester compose un poëme sur l'homme dans le goût de Boileau, une épître sur le rien; Waller, l'amoureux, fabrique un poëme didactique sur la crainte de Dieu, un autre en six chants sur l'amour divin. Ce sont des exercices de style. Ces gens prennent une thèse de théologie, un lieu commun de philosophie, un précepte de poésie, et le développent en prose mesurée, munie de rimes;

ils n'inventent rien, ne sentent pas grand'chose, et ne s'occupent qu'à faire de bons raisonnements avec des métaphores classiques, en termes nobles, sur un patron convenu. La plupart des vers consistent en deux substantifs munis de leurs épithètes et liés par un verbe, à la façon des vers latins de collége. L'épithète est bonne il a fallu feuilleter le Gradus pour la trouver, ou, comme le veut Boileau, emporter le vers inachevé dans sa tête, et rêver une heure en plein champ, jusqu'à ce que, au coin d'un bois, on ait trouvé le mot qui avait fui. — Je bâille, mais j'applaudis. C'est à ce prix qu'une génération finit par former le style soutenu qui est nécessaire pour porter, publier et prouver les grandes choses. En attendant, avec leur diction ornée, officielle, et leur pensées d'emprunt, ils sont comme des chambellans brodés, compassés, qui assistent à un mariage royal ou à un baptême auguste, l'esprit vide, l'air grave, admirables de dignité et de manières, ayant la correction et les idées d'un mannequin.

V

Un d'eux (Dryden toujours à part) s'est élevé jusqu'au talent, sir John Denham, secrétaire de Charles Ier, employé aux affaires publiques, qui, après une jeunesse dissolue, revint aux habitudes graves et, laissant derrière lui des chansons satiriques et des polissonneries de parti, atteignit dans un âge plur mûr le haut

style oratoire. Son meilleur poëme, Cooper's Hill, est la description d'une colline et de ses alentours, jointe aux souvenirs historiques que cette vue réveille et aux réflexions morales que cet aspect peut suggérer. Tous ces sujets sont appropriés à la noblesse et aux limites de l'esprit classique, et déploient ses forces sans révéler ses faiblesses; le poëte peut montrer tout son talent, sans rien forcer dans son talent. Le beau langage rencontre alors toute sa beauté, parce qu'il est sincère. On a du plaisir à suivre le déroulement régulier de ces phrases abondantes, où les idées opposées ou redoublées atteignent pour la première fois leur assiette définitive et leur clarté complète, où la symétrie ne fait que préciser le raisonnement, où le développement ne fait qu'achever la pensée, où l'antithèse et la répétition n'apportent pas leurs badinages et leurs afféteries, où la musique des vers, ajoutant l'ampleur du son à la plénitude du sens, conduit le cortége des idées, sans effort et sans désordre, sur un rhythme approprié à leur bel ordre et à leur mouvement. L'agrément s'y joint à la solidité; l'auteur de Cooper's Hill sait plaire autant qu'imposer. Son poëme est comme un parc monarchique, digne et nivelé sans doute, mais arrangé pour le plaisir des yeux et rempli de points de vue choisis. Il nous promène en détours aisés à travers une multitude d'idées variées. Il rencontre ici une montagne, là-bas un souvenir des nymphes, souvenir classique qui ressemble à un portique de statues, plus loin le large cours d'un fleuve, et à côté les débris d'une abbaye :

chaque page du poëme est comme une allée distincte qui a sa perspective distincte. Un peu après, la pensée se reporte vers les superstitions du moyen âge ignorant et vers les excès de la révolution récente; puis vient l'idée d'une chasse royale; on voit le cerf inquiet arrêté au milieu du feuillage. «Il se rappelle sa force, puis sa vitesse; ses pieds ailés, puis sa tête armée, << les uns pour fuir son destin, l'autre pour l'affronter1;» il fuit pourtant, et les chiens aboyants le pressent. Ce sont là les spectacles nobles et la diversité étudiée des promenades aristocratiques. Chaque objet d'ailleurs reçoit ici, comme en une résidence royale, tout l'ornement qu'on peut lui donner; les épithètes d'embellissement viennent recouvrir les substantifs trop maigres les décorations de l'art transforment la vulgarité de la nature les vaisseaux sont des «< tours flottantes; la Tamise est la fille bien-aimée de l'Océan; la montagne cache sa tête altière au sein des nues, pendant qu'un manteau de verdure flotte sur ses flancs. Entre les diverses sortes d'imaginations, il y en a une monarchique, toute pleine de cérémonies officielles et magnifiques, de gestes contenus et d'apparat, de figures correctes et commandantes, uniforme et imposante comme l'ameublement d'un palais : c'est d'elle que les classiques et Denham tirent toutes

1.

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He calls to mind his strength, and then his speed,
His winged heels, and then his armed head:

With these t' avoid, with that his fate to meet :
But fear prevails and bids him trust his feet.
So fast he flies, that his reviewing eye.
Has lost the chasers, and his ear the cry.

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