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LE CHOU

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ET

LE NAVET.

LE CHOU,

A M. L'ABBÉ D...

LORSQUE LOU

ORSQUE fous tes emprunts mafquant ton indigence,

De tous les Ecrivains tu cherchois l'alliance,

D'où vient que ton efprit & ton cœur en défaut
Du Jardin potager ne dirent pas un mot?

Il auroit pu fournir à ta veine épuisée

Des vrais trésors de l'homme une peinture aisée :
Le
verger de fes fruits eût décoré tes chants,
Et mon nom t'eût valu des fouvenirs touchants.
N'EST-CE pas moi, réponds, créature fragile,'
Qui foutins de mes fucs ton enfance débile?
Le Navet n'a-t-il pas dans le Pays latin,
Long-tems compofé feul ton modefte feftin,

"Avant que de Paris la gourmande cohue
Payât de fes dîners ta Mufe bien repue?
Enfant dénaturé, fi tu rougis de moi,

Vois tous les Choux d'Auvergne élevés contre toi!
Songe à tous mes bienfaits, délicat Petit-Maître,
Ma feuille t'a nourri, mon ombre t'a vu naître:
Dans tes jardins anglois tu me profcris en vain ;
Adam au paradis, me plantoit de fa main;
Le Nil me vit au rang de fes Dieux domestiques,
Et l'Auteur immortel des douces Géorgiques,
De fes grandes leçons interrompant le fil,
S'arrêta dans fon vol pour chanter le Perfil. ( I )
Que ne l'imitois-tu? mais ta frivole Muse
Quêtant un fentiment aux échos de Vauclufe,
De Pétrarque en longs vers nous rabâche la foi
Et ne réserve pas d'hémistiche pour moi.

Réponds donc maintenant aux cris des Chicorées,
Aux clameurs des Oignons, aux plaintes des Poirées,

(1) Virgile, par le peu de mots qu'il adreffe aux Jardins, a tendu un piége où M. l'Abbé D***, le P. Rapin, & quelques autres moins connus n'ont pas manqué de donner. Ils n'ont pas vu que ce grand homme ne fe plaint, vers la fin de fa carrière, de n'avoir pu chanter les Jardins, que pour donner plus de charme au morceau qu'il leur eonfacre, en y attachant un regret. Cet excellent efprit voyoit bien que s'il étendoit trop le fujet, il le feroit rentrer dans les Géorgiques, c'est-à-dire dans le grand tableau des champs, & que réduit à fes juftes bornes, il ne pouvoit fournir qu'un épilod

Ou crains de voir bientôt, pour venger notre affront Les Chardons aux Pavots s'enlacer fur ton front.

LE NAVET, AU CHOU.

J'AI fenti, comme toi, notre commune injure; Mais ne crois pas, ami, que par un vain murmure, Des Oignons irrités j'imite le courroux:

Le Ciel fit les Navets d'un naturel plus doux.
Des mépris d'un ingrat le Sage fe confole,
Je vois que c'est pour plaire à ce Paris frivole
Qu'un Poëte orgueilleux veut nous exiler tous
Des Jardins où Virgile habitoit avec nous.
Un prêtre dans Memphis avec cérémonie,
Eût conduit au bûcher le Candidat impie ( 1 ),
Mais le tems a détruit Memphis & nos grandeurs.
Il faut à fon état accommoder fes moeurs.

Je permets qu'aux boudoirs, fur les genoux des belles,
Quands fes vers pomponnés enchantent les ruelles
Un élégant Abbé rougiffe un peu de nous,
Et n'y parle jamais de Navets & de Choux.
Son ftyle citadin peint en beau les campagnes :
Sur un papier chinois il a vu les
montagnes,
La mer à l'Opéra, les forêts à Long-Champs,
Et tous ces grands objets ont ennobli fes chants.
Ira-t-il, defcendu de ces hauteurs fublimes,

(1) On fait qu'à Memphis & dans toute l'Egypte, on rendoit les honneurs divins aux légumes.

1

De vingt noms roturiers déshonorer fes rimes,
Et pour nous renonçant au muse du Parfumeur,
Des Choux qui l'ont nourri lui préférer l'odeur?
Papillon en rabat, coëffé d'une auréole,

Dont le manteau pliffé voltige au gré d'Eole,
C'eft affez qu'il effleure en fes légers propos,
Les Bofquets & la Rofe, & Vénus & Paphos :
La mode à l'œil changeant, aux mobiles aigrettes,
Semble avoir pour lui feul fixé fes girouettes :
Sur fon char fugitif où brillent nos Laïs,
L'ennemi des Navets en vainqueur s'est ailis ;
Et ceux qui pour Janot abandonnent Préville,
Lui décernent déjà le laurier de Virgile ( 1 ).

LE CHO U.

QU'IMPORTENT des fuccès par la brigue furpris?
On connoît les dégouts du fuperbe Paris (2).
Combien de grands Auteurs dans les foupers brillèrent,
Qui, malgré leurs amis au grand jour s'éclipferent!
Le monde est un théâtre ; & dans fes jeux cruels,
L'Idole du matin le foir n'a plus d'autels.
Nous y verrons tomber cet efprit de Collège,
De fes Dieux potagers déferteur facrilège:
Sa gloire paffera, les Navets refteront.

/ (1) M. l'Abbé D*** a été loué fur le théatre des Variétés.
(2) Nefcis, heu nefcis noftræ faftidia Roma!

LE NAVET.

SI la fortune un jour, pour venger notre affront Et donner du relâche aux oreilles publiques, Force à planter des Choux fes mains académiques Alors, comme un vrai sage à son jardin réduit, Qu'il vienne de l'Auvergne être le Bel-Esprit ( 1 ); Qu'il vienne, reprenant les mœurs de fon enfance, De fon cœur & du mien fentir la différence:

Je veux lui rendre alors mes bienfaits, mes fecours; Et de ce grand débris ( 2 ) consoler les vieux jours.

(1) Inter Sauromatas ingeniofus ero.

(2) C'est ainsi que M. l'Abbé D... appelle Marius affis fur les ruines de Carthage. I! eft le premier qui ait ofé dire un débris, deux débris, trois débris, &c. Peu de gens lui ont su gré de cette hardieffe.

Le but moral de cette bagatelle eft de détourner les jeunes gens des lectures de fociété; elles éventent le génie, déflorenr un ouvrage, & donnent à l'Auteur une réputation exagérée dont on ne croit jamais affez rabattre lorfqu'il fe montre au grand jour. Il faut fe choifir des critiques éclairés, & non des flatteurs ignorans; car la voix des premiers entraînera toujours le jugement des autres, tandis que les applaudiffemens des fots irritent les gens de goût & ne font que les rendre plus inexorables.

Quoiqu'il ne foir plus queftion du Poëme des Jardins, c'eft toujours fon Auteur qui eft le fujet de la leçon, comme il le fut dans la lettre du Préfident de .... elle en devient plus frappanre; car fi on traite ainfi le bois verd, comment fera traité le bois mort?

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