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On imagine encor de plus aimables lieux,
Et l'efprit inquiet défenchante les yeux.

Quand toujours guerroyant vos gothiques ancêtres
Transformoient en champ-clos leurs afyles champêtres,
Chacun dans fon donjon, de murs environné,
Pour vivre sûrement, vivoit emprisonné.

Mais que fait aujourd'hui cette ennuyeuse enceinte
Que conferve l'orgueil & qu'inventa la crainte ?
A ces murs qui gênoient, attriftoient les regards,
Le goût préfèreroit ces verdoyans remparts,
Ces murs tiffus d'épine, où votre main tremblante
Cueille & la rofe inculte & la mûre fanglante.

Mais les jardins bornés m'importunent encor.
Loin de ce cercle étroit prenons enfin l'effor
Vers un genre plus vafte & des formes plus belles,
Dont feul Ermenonville offre encor des modèles.
Les Jardins appelloient les champs dans leur féjour,
Les jardins dans les champs vont entrer à leur tour,
Du haut de ces côteaux, de ces monts d'où la vue
D'un vaste paysage embraffe l'étendue,

La Nature au Génie a dit : « Écoute-moi.

Tu vois tous ces tréfors; ces trésors sont à toi.
Dans leur pompe fauvage & leur brute richesse,
Mes travaux imparfaits implorent ton adreffe ».
Elle dit. Il s'élance, il va de tous côtés

Fouiller dans cette maffe où dorment cent beautés
Des vallons aux côteaux, des bois à la prairie,
Il retouche en paffant le tableau qui varie.

Il fait, au gré des yeux, réunir, détacher,
Éclairer, rembrunir, découvrir ou cacher.
Il ne compofe pas; il corrige, il épure,
Il acheve les traits qu'ébaucha la Nature.
Le front des noirs rochers a perdu fa terreur;
La forêt égayée adoucit fon horreur;
Un ruiffeau s'égaroit, il dirige fa courfe;

Il s'empare d'un lac, s'enrichit d'une fource.
Il veut ; & des fentiers courent de toutes parts
Chercher, faifir, lier tous ces membres épars,
Qui, furpris, enchantés du noeud qui les raffemble,
Forment de cent détails un magnifique ensemble.

Ces grands travaux peut-être épouvantent votre art.
Rentréz dans vos vieux parcs, & voyez d'un regard
Ces riens difpendieux, ces recherches frivoles,
Ces treillages fculptés, ces baffins, ces rigoles.
Avec bien moins de frais qu'un art minutieux
N'orna ce feul réduit qui plaît un jour aux yeux,
Vous allez embellir un paysage immense.
Tombez devant cet art, fauffe magnificence,
Et qu'un jour transformée en un nouvel Éden,
La France à nos regards offre un vaste jardin !

Que fi vous n'osez pas tenter cette carrière, Du moins, de vos enclos franchissant la barrière, Par de riches afpećts agrandiffez les lieux. D'un vallon, d'un côteau, d'un lointain gracieux, Ajoutez à vos parcs l'étrangère étendue ; Poffédez par les yeux, jouiffez par la vue.

Sur-tout fachez faifir, enchaîner à vos plants Ces accidens heureux qui diftinguent les champs. Ici, c'est un hameau que des bois environnent; Là, de leurs longues tours les cités se couronnent; Et l'ardoise azurée, au loin frappant les yeux,' Court en fommet aigu se perdre dans les cieux. Oublierai-je ce fleuve, & fon cours, & fes rives? Votre œil de loin poursuit les voiles fugitives. Des îles quelquefois s'élèvent de son sein ; Quelquefois il s'enfuit fous l'arc d'un pont lointain. Et fi la vafte mer à vos yeux fe préfente, Montrez, mais variez cette scène impofante. Ici, qu'on l'entrevoie à travers des rameaux. Là, dans l'enfoncement de ces profonds berceaux, Comme au bout d'un long tube une voûte la montre. Au détour d'un bofquet ici l'œil la rencontre, La perd encore; enfin la vue en liberté Tout-à-coup la découvre en fon immenfité.

Sur ces afpects divers fixez l'œil qui s'égare; Mais, il faut l'avouer, c'eft d'une main avare Que les hommes, les arts, la nature & le temps Sèment autour de nous de riches accidens.

O plaines de la Grèce ! ô champs de l'Aufonie! Lieux toujours infpirans, toujours chers au génie ; Que de fois arrêté dans un bel horizon, Le peintre voit, s'enflamme, & faifit fon crayon, Deffine ces lointains, & ces mers, & ces îles, Ces ports, ces monts brûlans & devenus fertiles,

Biv

Des laves de ces monts encor tout menaçans,

Sur des palais détruits d'autres palais naissans,

Et, dans ce long tourment de la terre & de l'onde,
Un nouveau monde éclos des débris du vieux monde !
Hélas! je n'ai point vu ce séjour enchanté,

Ces beaux lieux où Virgile a tant de fois chanté ;
Mais, j'en jure & Virgile & fes accords fublimes,
J'irai; de l'Apennin je franchirai les cimes ;
J'irai, plein de fon nom, plein de ses vers facrés,
Les lire aux mêmes lieux qui les ont infpirés.

Vous, épris des beautés qu'étalent ces rivages,
Au lieu de ces afpects, de ces grands paysages,
N'avez-vous au-dehors que d'infipides champs ?
Qu'au-dedans, des objets mieux choifis, plus touchans
Dédommagent vos yeux d'une vue étrangère:
Dans votre propre enceinte apprenez à vous plaire;
Symbole heureux du fage, indépendant d'autrui,
Qui rentre dans fon ame, & fe plaît avec lui.
Je m'enfonce avec vous dans ce fecret afyle.
Toutefois aux lieux même où le fol plus fertile
En aspects variés & le plus abondant,

Des tréfors de la vue économe prudent,
Faites-les acheter d'une courfe légère.

Que votre art les promette, & que l'œil les espère:
Promettre, c'eft donner; espérer, c'eft jouir.
Il faut m'intéreffer, & non pas m'éblouir.

Dans mes leçons encor je voudrois vous apprendre: L'art d'avertir les yeux, & l'art de les furprendre.

Mais avant de dicter des préceptes nouveaux, Deux genres, dès long-temps ambitieux rivaux, Se difputent nos vœux. L'un à nos yeux préfente D'un deffin régulier l'ordonnance impofante, Prête aux champs des beautés qu'ils ne connoiffent pas, D'une pompe étrangère embellit leurs appas, Donne aux arbres des loix, aux ondes des entraves, Et, defpote orgueilleux, brille entouré d'esclaves. Son air eft moins riant & plus majestueux.

L'autre, de la nature amant refpectueux,
L'orne, fans la farder, traite avec indulgence
Ses caprices charmans, fa noble négligence,
Sa marche irrégulière, & fait naître avec art
Les beautés, du défordre, & même du hafard.
Chacun d'eux a fes droits; n'excluons l'un ni l'autre:
Je ne décide point entre Kent & Le Nôtre.

Ainfi que leurs beautés, tous les deux ont leurs loix.
L'un eft fait pour briller chez les grands & les rois;
Les rois font condamnés à la magnificence.
On attend autour d'eux l'effort de la puiffance;
On y veut admirer, enivrer fes regards
Des prodiges du luxe & du fafte des arts.

L'art peut donc fubjuguer la nature rebelle;

Mais c'est toujours en grand qu'il doit triompher d'elle. Son éclat fait fes droits; c'eft un ufurpateur

Qui doit obtenir grace, à force de grandeur. Loin donc ces froids jardins, colifichet champêtre, Infipides réduits, dont l'infipide maître

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