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l'on fe croyoit obligé d'y faire quelque changement, on ne le fera qu'après avoir pris l'avis de tous les Magiftrats & du peu ple, après avoir confulté tous les oracles des Dieux, & fuppofé que tous y confentent: fans cela on n'y touchera point, & l'avis de celui qui s'oppofe à l'innovation prévaudra toujours felon la loi.

EN quelque tems & dans quelque famille qu'un jeune homme, après avoir vû & s'être laiffé voir fuffifamment, croira avoir trouvé une perfonne à fon gré, à laquelle il puiffe s'unir avec décence pour avoir & élever en commun des enfans; qu'il ait la liberté de l'époufer depuis l'âge de vingt-cinq ans jufqu'à trente-cinq. Mais auparavant qu'il ap prenne comment il doit chercher celle lui convient. Car, comme dit Clinias, il faut mettre à la tête de chaque loi le prélude qui lui eft propre. Clinias. Vous vous rappellez à merveille ce que j'ai dit, Etranger, & vous avez faifi à propos l'occafion de le placer dans vos difcours. L'Athén. Vous êtes trop obligeant. Mon fils, lui dirons-nous donc, étant né, comme vous l'êtes, de parens honnêtes, il convient que vous con

tractiez un mariage qui mérite l'approbation des perfonnes fages; elles vous feront en tendre qu'il ne faut point fuir l'alliance des pauvres, ni rechercher avec empreffement celle des riches; mais que tout le reste étant égal, vous devez vous attacher par préfé, rence à ceux qui ont un peu moins de biens que vous, & en faire vos alliés: qu'une pareille conduite eft également avantageufe à l'Etat & aux familles qui s'uniffent par un mariage: que la vertu fe trouve mille fois plus aifément dans les unions où il entre de la proportion & de l'égalité, que dans celles qu'aucun mélange ne tempere: ainsi que celui qui fe connoît être d'un carattere impétueux & trop précipité dans fes démarches, doit travailler à devenir le gendre de citoyens modérés, & celui qui est né avec des difpofitions contraires, s'allier avec des perfonnes d'un caractere propre à corriger le fien. En général la régle qu'il faut suivre en fait de mariage, eft de confulter moins. fon goût & fon plaifir particulier, que l'utilité publique. Tous fe fentent portés à s'unir à ceux qui leur reffemblent le plus: d'où il arrive que dans les familles qui composent

une ville, il fe trouve une étrange différen ce, foit pour les biens, foit pour les mœurs: de-là dans la plupart des Etats l'inconvénient dont nous voulons préferver le nôtre.

Il est donc conforme à la raifon de défendre par une loi au riche d'époufer la fille du riche, & à l'homme puiffant de s'allier à une autre famille puiffante, mais fi nous ordonnions à ceux d'un caractere vif, de s'unir par le mariage aux perfonnes d'un caractere lent, & réciproquement; outre que cela paroîtroit ridicule, il feroit à craindre que beaucoup de gens n'en fuffent très-choqués. En effet il n'eft point aifé à tous de concevoir que les humeurs doivent être mêlées dans un Etat, comme les liqueurs dans une coupe, où le vin verfé feul pétille & bouillonne, mais corrigé par le mélange d'une autre Divinité fobre, devient par cette heureuse alliance, un breuvage fain & modéré. (12) Tel est l'effet que produit le mêlange des caracteres; mais prefque perfonne

'. (12) Ceci mne rappelle le beau vers de Tibulle: mixtaque fecuro eft fobria lympha mero. Croiroit-on que Longin, fi bon juge d'ailleurs, Traité du Sublime chap. 28, reproche à Platon comme une métaphore dure & outrée, d'avoir dit que l'eau divinité fobre corrige le vin ?

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n'eft capable de s'en appercevoir. C'est ce qui nous met dans la néceffité de ne point faire de loi expreffe fur ce point, & d'effayer feulement auprès de nos citoyens la voye douce de la perfuafion, leur infinuant de fonger plutôt en mariant leurs enfans à affortir les perfonnes, qu'à vouloir par une avarice insatiable que les biens de fortune foient égaux de part & d'autre; & détournant par des reproches falutaires ceux qui dans le mariage n'ont en vue que les richeffes, fans les contraindre par une loi écrite. Voilà ce que nous avons à dire par forme d'exhortation für le mariage. Il faut joindre à ceci ce qui a été dit plus-haut, que chaque citoyen doit tendre à perpétuer fa nature, laiffant après foi des enfans & des petitsfils qui lui fuccedent dans le culte qu'il rendoit aux Dieux.

On pourroit ajouter à ce prélude bien des chofes touchant le mariage & la maniere de le contracter. Si quelqu'un refufe de se foumettre à la loi, & qu'il veuille vivre dans nôtre ville comme un Etranger, fans alliance; fi à l'âge de trente-cinq ans accomplis it n'eft point marié; il payera chaque année

une amende de cent dragmes, s'il eft de la premiere claffe; de foixante & dix, s'il eft de la feconde; de foixante, s'il eft de la troifieme, & de trente, s'il eft de la quatrieme. (13) Cet argent fera confacré à Junon. S'il ne paye point exactement à chaque terme, il fera condamné au décuple. L'Oeconome de la Déeffe fera chargé d'exiger cette amende: s'il manque à le faire, on la levera fur fes propres biens; & dans les comptes que chacun rendra, on fera mention de cet article. Telle eft l'amende pécu niaire établie contre ceux qui refuferoient de prendre aucun engagement.. A l'égard des honneurs, ils n'en recevront point des citoyens plus jeunes qu'eux: aucun n'aura pour eux le moindre respect, la moindre déférence; & s'ils s'avifoient de vouloir châtier quelqu'un, quiconque fera préfent prendra la défenfe de l'attaqué, & repouffera leurs coups: bien plus, la loi déclare lâche & mauvais citoyen, celui qui ne viendra point à fon fecours.

Nous

(13) La proportion pour l'amende n'eft point gardée à régard de la troifieme claffe: ce qui me fait foupçonner qu'il faut peut-être lire dans le Grec cinquante, au liet de foixante.

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