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conque ne l'aura pas fait fera puni dans fes biens & dans fon honneur; il payera telle & telle amende; il fubira telle & telle igno minie. Telle eft la méthode fimple des loix fur le mariage: paffons à celle qui eft dou ble. On fe mariera depuis l'âge de trente ans jufqu'à trente-cinq. Chacun fera réflexion que la nature humaine participe en un certain fens à l'immortalité, à laquelle tout homme afpire naturellement avec la plus grande ardeur; ce defir n'étant autre chofe que celui de fe faire un nom & de ne pas demeurer dans l'oubli après fa mort. Or la durée du genre humain eft de même natu re que celle du tems: les hommes fe fuc cedent & fe fuccéderont fans interruption; parce qu'ils fe procurent une espece d'im mortalité, en remplaçant une génération par une autre, enforte que l'efpece est toujours la même. (12) C'est donc un crime à tout homme de fe priver volontairement de cet avantage; & c'eft confentir à s'en priver,

(12) Regardez les individus ; dit M. de Fenelon, Exist. de Dieu, nul animal n'eft immortel: tout vieillit, tout paffe, tout difparoît, tout eft anéanti. Regardez les ef peces; tout fubfifte, tour eft permanent & immuable, lans une viciflitude continuelle.

que de refufer de prendre une femme & d'avoir des enfans. Ainfi celui qui fe conformera à la loi, n'aura rien à craindre pour foi mais quiconque y fera rebelle, & n'aura point encore pris d'engagement à l'âge de trente-cinq ans, payera chaque année telle ou telle fomme; afin qu'il ne s'imagine pas que le Célibat foit un état commode & avantageux. Il n'aura non plus aucune part aux honneurs que la jeunesse rend chez nous à ceux d'un âge avancé.

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SUR les deux modeles de loi que vous venez d'entendre, c'est à vous de juger s'il vaut mieux que nous nous attachions à la méthode double, en propofant le plus briévement qu'il fera poffible les motifs d'infinuation & les menaces; où fi nous préférerons la méthode fimple & plus courte, nous bornant à la feule intimation. Mégille. Etranger, le Lacédémonien préfere d'ordinaire en tout la briéveté : cependant fi on me laiffoit le choix de ces deux formules de loi, & qu'on me confultât fur celle que je voudrois qu'on me propofât, je choifirois la plus longue: & j'en ferois de même à l'égard de toute autre loi, fi elle m'étoit pré

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fentée fous l'une & l'autre forme. Mais il eft néceffaire de fçavoir quel eft là-deffus l'avis de Clinias, d'autant plus que c'est à l'ufage de fa ville que ces loix font destinées. Clinias. Je fuis de vôtre fentiment, Mégille. L'Athén. Au refte je pense que c'est une grande puérilité de s'embarraffer du plus ou du moins de longueur d'un difcours. Ce n'eft ni à ce qui eft long, ni à ce qui eft court, mais à ce qu'il y a de meilleur qu'il faut s'arrêter. Il eft évident que, des deux formules de loix que je viens de propofer, l'une a fur l'autre un avantage plus que double pour l'utilité qu'on a droit d'en attendre: & la comparaifon que j'ai apportée des deux efpeces de médecins, eft tout-à-fait jufte. Il me femble que jufqu'à préfent aucun Légiflateur n'a fait réflexion,, que dans les loix qu'il dreffe, il peut employer également la perfuafion & la contrainte; ils n'ont fait ufage que du dernier de ces moyens, pour réduire au devoir la multitude ignorante. Car ils ne fçavent ce que c'eft que de tempérer la force par la douceur de l'infinuation; & la contrainte eft le feul reffort qu'ils font jouer. Pour moi,

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mon cher Clinias, je vois qu'il est encore néceffaire d'ufer dans l'inftitution des loix d'un troisieme moyen, dont on ne fe fert point aujourd'hui. (13) Clinias. De quoi parlez-vous? L'Athén. D'une chose à qui, par je ne fçais quel bonheur, nôtre entretien a donné naiffance. En effet cette converfation fur les loix a commencé dès le matin: il eft déja midi, & nous voilà arrivés à ce lieu délicieux fi propre à nous délaffer, fans avoir quitté de vue un feul moment nôtre fujet. Cependant nous n'a vons entamé la matiere des loix que depuis un inftant; & tout ce qui a précédé ne doit être regardé que comme un prélu de. Qu'entends-je par-là ? Je veux dire que dans tous les difcours, & généralement en tout ce où la voix a part, il y a des préludes, & comme des efpeces d'ébranlemens qui font un effai ménagé felon les régles de l'art, pour préparer à l'exécution de ce qui doit fuivre. Nous voyons que pour les

(13) Cicéron dit au fecond livre des Loix, que Pla ton a pris de Zaleucus Légiflateur des Locriens, & de Charondas Législateur des Thuriens, cette idée de mettre à la tête de chaque loi un préambule qui en explique les raifons, & en montre la fagelle.

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airs qu'on joue fur le luth, & à qui on donne le nom de loix, ainfi que pour tou te espece de mufique, il y a de ces fortes de préludes compofés avec un art merveil leux. Perfonne néanmoins n'a encore penfé à donner un prélude aux vrayes loix, qui font, difons-nous, les loix politiques: perfonne n'en a encore fait paroître au jour, comme fi de leur nature elles n'en devoient point avoir. Pourtant, fi je ne me trompe, tout ce que nous avons dit jufqu'à présent eft une preuve qu'il y en a; & cette formule de loi, que nous avons appellée double, contient, à la bien prendre, deux chofes très-diftinguées, fçavoir la loi, & le prélude de la loi. L'ordonnance tyrannique, que nous avons comparée aux ordonnances des Efclaves qui exercent la médecine, eft, à proprement parler, la loi pure: ce qui la précede, & qui est destiné à produire la perfuafion dans les efprits, produit véritablement cet effet, & de plus il est à l'égard de la loi ce que l'exorde eft au difcours. Car tout le but du Légiflateur dans ce préambule fait pour perfuader, eft de difpofer l'efprit de celui pour qui il fait

des

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