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philosophique. La littérature romane au contraire, sans racines sur le sol gaulois, sans rapport avec le passé, incomplète et superficielle, eût laissé languir la pensée dans de riantes mais stériles fictions. Singulière méprise! la littérature romane invoquée aujourd'hui par la liberté, elle le fruit et le symbole de la conquête, la poésie de la féodalité ! Là en effet où règne encore la féodalité, là plus qu'ailleurs, s'est conservée la poésie romane, confondue avec elle et unie par les souvenirs, les mœurs, les croyances, par une vieille et commune origine. Qu'on y réfléchisse: aujourd'hui même, la question au fond n'a pas changé, et sous d'autres noms, c'est la même lutte, entre le Nord et le Midi, entre la barbarie et la civilisation, entre les Cosaques et la République. La révolution française elle-même n'a été qu'une réaction de l'esprit romain ou civilisé contre l'esprit germanique ou féodal, et, pour ainsi dire, le dernier triomphe des Gaulois sur les Francs. Ainsi la littérature romantique cache, sous des formes décevantes, une origine peu populaire : elle appartient au passé et à l'aristocratie. C'est donc à tort que M. Schlegel' a vu dans la langue

• Sans doute, à ne considérer que la poésie et le developpement de l'esprit national dans les idiomes nationaux, on pourrait souhaiter que cette littérature latine n'eût point exis

latine un obstacle au développement du moyen âge. Il y a eu lutte en effet au moyen âge, mais lutte de la liberté et de l'Église contre le fait brutal ou la féodalité : l'esprit nouveau, c'était l'esprit ancien; l'esprit créé par le christianisme, et non par l'invasion; esprit qui lutta contre la conquête ; qui, réfugié dans les cloîtres, humilia les forteresses; qui, avec Grégoire VII, réhabilita le droit ou la liberté ; qui, plus tard, lorsque Rome parut manquer à sa destinée, qui est de répandre la liberté avec l'Évangile, passa dans les moralistes; créa les écrivains du seizième siècle, anima Pascal, et prépara la hardiesse, quelquefois aussi la témérité des écrivains du dix-huitième siècle. L'esprit nouveau n'appartient donc qu'à la littérature savante : le beau siècle du romantique ne se trouve nulle part au moyen àge; semblable à l'âge d'or des poètes, il fuit devant les recherches.

De ces réflexions que faut-il conclure? Que la littérature classique est préférable à la lit

té, et que la langue morte fût entièrement tombée en désuétude; c'est par elle que l'histoire et surtout la philosophie furent séparées de la vie. Il y a quelque chose de barbare à ce que la science et l'érudition, la législation et les affaires d'état soient traitées dans une langue étrangère et tout-à-fait morte. (SCHLEGEL, 1 vol., p. 335 de la traduct.)

térature romane ou romantique? A Dieu ne plaise! Littérature latine et littérature romane, toutes deux ont également vécu ; toutes deux sont mortes avec les institutions ou les besoins qui leur ont donné naissance, celle ci avec la féodalité, celle-là avec le dix-huitième siècle. Là s'est accomplie l'œuvre de la littéra– ture ancienne; là, et là seulement, la société moderne s'est entièrement séparée de la société ancienne, dont, au quinzième siècle, elle avait commencé à se détacher. Ainsi, classique ou romantique, le passé ne peut renaître; mais en disant adieu à la littérature ancienne, n'oublions pas les services qu'elle a rendus. Quelle littérature les doit remplacer? nous ne chercherons point à le prophétiser. Une littérature ne s'impose pas à un peuple; elle sort de ses mœurs, de ses idées, de son histoire, et non d'une poétique: elle résume un siècle, et ne le devance pas.

CHAPITRE XXVIII.

Progrès du moyen âge.

Nous avons esquissé quelques traits de cette physionomie si variée et si profonde du moyen âge. Pour en saisir et fixer dans ce rapide tableau, la vie singulière et animée, il a fallu la chercher dans différens pays, et sous diverses influences. Nous avons vu d'abord le moyen âge, image décolorée de l'antiquité, s'éteindre dans une imitation stérile du génie romain; puis inspiré de la vie nouvelle et de la pensée religieuse, s'égarer mais aussi se fortifier dans les distinctions subtiles et puissantes de la dialectique. Au quatorzième siècle, il retrouve ou devine la science. Bientôt un mouvement nouveau et fécond l'agite : il se fait sentir, il éclate dans la formation des langues et des littératures modernes ; il se manifeste dans les essais brillans des troubadours, dans les merveilles du génie italien, héritier de la Provence.

Telle est l'œuvre du moyen âge. Débris du monde ancien, et préparation du monde mo

derne, a-t-il accompli sa tâche? Dans l'ordre intellectuel, dans l'ordre moral, a-t-il été une décadence ou un progrès ?

Si l'on estime le fond plus que la forme, si l'on conçoit la grandeur de l'humanité, dans la supériorité de quelques esprits qui, à eux seuls, la résument et l'élèvent, aussi bien que dans une culture intellectuelle plus répandue mais moins profonde, l'on avouera que le moyen âge n'a point été une époque stationnaire et stérile; qu'il a, dans l'histoire de l'esprit humain, sa place, son intérêt, et d'immenses résultats. Il a ses idiomes et ses littératures à lui: littératures et idiomes incomplets, il est vrai, sous le rapport extérieur, sous le rapport de la forme, mais complets comme expression de mœurs, de sentimens, de caractères et de nation. Il ne poursuit pas avec une moins vive ardeur les études antiques et sérieuses, s'épuisant quelquefois dans de vaines recherches, mais attestant sa vigueur par ses excès mêmes. Les questions que soulevait la scolastique n'étaient pas sans quelque grandeur et sans avenir: de la scolastique, sont nées nos sciences morales. Les erreurs de l'astrologie ont préparé les découvertes de l'astronomie; les chimériques espérances du grand œuvre et les expériences des Arabes ont produit la chimie : en un mot,

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