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charme toujours nouveau, la vie immortelle de la Divine Comédie: vaste scène où se meut tout entière l'Italie du moyen âge; où sous des allégories bizarres en apparence, mais saisissantes et populaires, le poète, plein lui-même d'une sombre terreur, inflige aux coupables un double supplice, et vivans encore, les traîne aux enfers, tandis que dans les rues de Florence errent leurs ombres réprouvées'. Ces fictions étaient dans tous les esprits avec les terreurs de l'enfer, avec les espérances du paradis. Nées du mélange du mysticisme chrétien et des subtilités scolastiques, elles avaient été nourries, exagérées par des dissertations alors fort répandues, sur les limbes, le paradis, le purgatoire; par les légendes des vieux ermites de Syrie et d'Égypte; par toutes les croyances populaires qui remplissent la première partie du moyen âge. Ces images terribles, ces figures hardies dont le poète a effrayé ses auditeurs, cette éternité vivante où

I

Il corpo suo l'è tolto

Da un dimonio che poscia il governa,
Mentre che 'l tempo suo tutto sia volto.

Che questi lasciò un diavol in sua vece

Nel corpo suo.

(Chant 33.)

il a plongé les coupables, toutes ces pittoresques allégories n'étaient que la traduction fidèle des frayeurs, des rêves, des superstitions populaires.

Si, de plus, on songe qu'alors on attendait la fin du monde, on sentira combien les vengeances éternelles proclamées par le Dante devaient plus vivement encore frapper les imaginations; combien les flammes de l'enfer se réfléchissaient plus sombres et plus dévorantes sur les vers du poète et dans l'âme des lecteurs; avec quelle facilité la crédulité populaire grossissait tous ces fantômes créés par le génie du poète! Car ces fictions merveilleuses, c'est le peuple qui les avait faites: Dante les a exprimées et rendues vivantes par cette beauté d'expressions, cette vivacité d'images, qui est la puissance du génie.

Dante fut le premier des poètes du moyen âge, il en fut aussi le seul. Après lui, cette triple unité de la religion, de l'amour, du patriotisme, qu'il a consacrée en la résumant, va s'affaiblissant; l'amour et la religion sont encore unis, mais seulement dans l'imagination; ils sont encore un beau idéal, ils ne forment plus une croyance il y a

:

une Laure, il n'y a plus de Béatrice; la vie nouvelle, cette vie de rêves de théologie et d'amour, s'efface; nous aurons Vaucluse et sa fontaine.

De là dans Pétrarque un caractère nouveau. Nous avons vu dans le Dante l'amour se confondre avec la théologie, en emprunter le langage, les obscurités, le voile saint et redoutable. Cet amour, dans les Canzone, va se montrer plus à découvert. Libre de la théologie, il demandera peut-être à la philosophie platonicienne quelques poétiques extases; mais il ne les mêlera plus aux mystères et aux terreurs de la foi. Il ne prendra de la religion. chrétienne que cette pureté de pensées, cette chasteté de tendresse, charme délicieux de Pétrarque, poésie nouvelle, inconnue à l'antiquité.

Le changement des croyances semble passer dans le langage. Énergique, concise, mais âpre et saccadée quelquefois dans le Dante, la langue italienne est souple et harmonieuse dans Pétrarque; les expressions s'adoucissent et s'épurent comme les sentimens. Pétrarque annonce le seizième siècle littéraire de l'Italie. Précurseur de l'Arioste et du Tasse, il achève de façonner pour eux cet instrument souple et brillant

que Dante a créé ; il prépare aussi cette renaissance de l'antiquité, qui, en polissant le génie de l'Italie et de l'Europe, en devait effacer l'originalité et la beauté primitive,

CHAPITRE XXIV.

Esquisse de la langue espagnole et de la littérature
anglaise.

le

Tous les idiomes modernes nés, comme l'italien et le français, de la langue latine, ou qui en avaient reçu l'influence, se développaient. L'espagnol autant que l'italien, et plus que français wallon, conserva l'empreinte romaine, qui dans l'Espagne n'avait été que légèrement effacée par la domination des Visigoths. Les Visigoths, en effet, laissèrent à leurs sujets d'Espagne et d'Aquitaine les usages romains, et les institutions étrangères qu'ils purent y mêler furent singulièrement adoucies et tempérées par la religion : leur code de jurisprudence civile et criminelle atteste un progrès remarquable dans la politique et dans l'humanité.

Le clergé, qui dès-lors domina l'Espagne, et qui, comme aujourd'hui, vit se ranger sous lui la royauté, l'aristocratie, le peuple, contribua beaucoup à maintenir la pureté de la langue

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