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CHAPITRE XVIII.

Développement de la langue et de la poésie wallonnes'. - Littérature savante.

DÉGAGE du latin vulgaire et de l'idiome tudesque, le roman wallon prit un rapide accroissement et se développa surtout au sein de la Normandie, dont quelquefois il porte le nom. A peine fixés dans la Gaule, les Normands semblèrent oublier leur idiome pour adopter le latin vulgaire alors en usage; ils furent sans doute conduits à ce changement par les enseignemens du clergé, qui se faisaient en latin.

Déjà au onzième siècle la Normandie a ses écoles où, à côté du latin, on enseignait la langue vulgaire, le roman ou normand. La langue wallonne devint la langue vulgaire des pays soumis aux ducs de Normandie. C'est en langue romane que la prédication avait lieu.

'Le nom de Wallon ou Wael n'est autre que celui de Gaulois ou Gallus, qui a subi la permutation si fréquente du g en w. C'est le même nom que les Saxons ont donné au petit pays de Galles. De là le mot Welsch, si connu par l'ironie de Voltaire.

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Il existe de cette époque un psautier enrichi de notes interlinéaires, en ancien langage français ou normand. A Rouen, capitale des ducs de Normandie, on ne parlait que le roman; c'est à Rouen que plus tard les Normands, conquérans de l'Angleterre, envoient leurs fils. pour s'instruire au langage et à l'élégance française. Si, en adoptant ainsi la langue romane et en la cultivant avec soin, les Normands la perfectionnèrent, ils durent aussi en changer le caractère primitif; de là une distinction profonde entre le roman wallon et le roman provençal, entre le génie du nord et celui du midi.

La manière dont les Anglais prononçaient le français d'alors, jointe à leurs relations avec les habitans de la Normandie et des autres côtes de la France, contribua beaucoup à donner au roman wallon un caractère différent de la forme primitive de la langue latine. La désinence française de trouvères, opposée au nom de troubadours, est déjà une marque de la physionomie différente des langues d'oil et d'oc.

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Cette distinction ne se put effacer même sous

Apud ducem Neustriæ educatur, eo quod apud nobilissimos Anglos usus teneat filios suos apud Gallos nutriri, ob usum armorum et linguæ nativæ barbariem tollendam. (Duchesne, t. 4, p. 842; — t. 3, p. 370.).

l'influence plus douce que sembla répandre sur le roman wallon, d'abord le mariage de Constance d'Aquitaine avec Robert, fils de Hugues Capet, puis celui d'Éléonore de Guyenne avec Louis VII. Guillaume de Poitiers, Bertrand de Born, Richard Coeur-de-Lion, qui firent passer dans les cours de la France septentrionale l'art des troubadours, leurs mœurs gracieuses et faciles, et qui semblent former le lien et la transition. entre les deux idiomes wallon et provençal, n'ont pu cependant les fondre entièrement. En eux le génie du Nord domine. Développée sous l'inspiration de ce rude génie, la poésie wallonne en garde l'empreinte : plus claire, plus concise que la langue provençale, elle est moins harmonieuse; elle s'en sépare par ses inflexions, par ses constructions, par la structure des mots et des phrases. Les sons du roman wallon sont plus durs et plus traînans que ceux du roman provençal. Il est plus chargé de voyelles sourdes, de diphthongues épaisses, de consonnes discordantes; les inversions et les transpositions y sont plus rares que dans le provençal et l'italien. Mais inférieur comme langue poétique, il est supérieur comme langue du raisonnement de là, dans les genres mêmes sur lesquels se sont exercées les deux poésies, une grande différence.

La poésie wallonne, dès son début, s'essaie sur des sujets variés : compositions épiques, didactiques, lyriques, élégiaques, complaintes, chansons érotiques, bachiques et morales, lais ou romances, jeux-partis ou controverses, épîtres, traités de physique et de géographie, Institutes même de Justinien, coutumes de Normandie. C'est à la fin du treizième siècle que les livres de droit trouvèrent des traducteurs ; ces traductions se faisaient ordinairement en rimes françaises. Ainsi, les sujets les plus arides comme les plus rians, la poésie wallonne abordait tout: variété que n'offre point la littérature des troubadours, qui présente à peine quelques productions en prose. Des pastorales, des épîtres et des satires, des controverses ou tensons, quelques chansons légères, voilà toute la littérature provençale. Quelques genres étaient communs aux deux poésies: telle la sirvente ou serventois, ou encore sotte chanson, poésie satirique, origine des sotties ou moralités qui ont été les premièrs essais de l'art théâtral en France. Le vocabulaire noble et harmonieux, mais uniforme et restreint du roman provençal, se refusait aux souplesses et aux détails de la pensée exprimée en prose. Le roman wallon, au contraire, gagnait en flexibilité ce qu'il perdait en verve. Les trouvères étaient plus

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féconds que les troubadours en contes et en nouvelles. Déjà en eux s'annonçait pour la langue française ce mérite de conter que nulle autre n'égale. Les troubadours sont beaucoup moins riches en poésie narrative que les trouvères, dont les essais, tout imparfaits qu'ils sont, indiquent dans la langue un progrès rapide et un avenir glorieux.

Cultivée surtout et d'abord en Normandie, la langue wallonne partagea les brillantes destinées des Normands. Avec les Danois, elle pénètre dans le Nord. Au douzième siècle, il y avait à Paris des colléges spéciaux pour les Anglais et pour les Danois; la langue danoise était un dialecte de la langue teutonique, dont les Français parlaient un autre dialecte, qui, quoique abandonné pour le roman ou pour le français naissant dans les États de Charles le Simple, était encore entendu par les princes et conservé avec respect. La langue wallonne s'établit en Angleterre avec Guillaume le Conquérant'; elle passe en Écosse;

• La bibliothèque Harleyenne, au Musée britannique; contient un grand nombre de pièces écrites en français. M. de La Rue a publié diverses pièces des poètes anglo-normands. M. Francis Cohen en a fait connaître quelques-unes. Marie de France, poète anglo-normand, est le plus célèbre de ces poètes d'outre-mer. (Journal des savans, juillet 1819.)

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