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CHAPITRE XIII.

Essais d'indépendance religieuse.

LES universités et la scolastique avaient, nous l'avons vu, ébranlé les esprits, et inquiété la foi. Au sein même du clergé, une lutte s'était engagée entre la philosophie et la théologie. Abailard, Gilbert de la Porrée, étaient de hardis novateurs. En Italie, Arnaud de Brescia, élève d'Abailard et son ami, soutenait

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Ipsis quoque temporibus, studiis scholarum et scholarium reflorentibus, incipiebant magistri theologiæ, præcipue tamen præcipui prædicatorum et minorum lectores, disputare et disserere subtilius et celsius quam decuit aut expedivit ; qui non verentes tangere montes, a gloria Dei opprimendi, nitebantur secreta Dei investigabilia temere perscrutari, et judicia Dei, quæ sunt abyssus multa, nimis præsumptuose indagare. (MATTH. PARIS, ann. 1240, p. 612.)

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Quisquis hoc legerit non dubitabit quatuor labyrinthos Galliæ, id est Abaelardum et Lombardum, Petrum Patav. et Gilbertum Porret, uno spiritu aristotelico afflatos, dum ineffabilia Trinitatis et incarnationis scholastica levitate tractarent, multas hæreses olim vomuisse, et adhuc errores pullulare. (BULE Hist. univ. Paris; lib. 2, p. 200 ss., 402 ss., ss., 629-660.)

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par

ses doctrines. Le schisme de l'Orient et de l'Occident favorisait ce mouvement des esprits. Le peuple romain lui-même avait cherché, à la faveur des dissensions du Saint-Siége, à ressaisir le pouvoir que lui avait enlevé l'administration vigoureuse de Grégoire VII. La suprématie politique de Rome, fondée le génie d'Innocent III, se soutint encore jusqu'à Grégoire IX, qui lui rendit toute sa vigueur par la publication d'un nouveau code ecclésiastique, les Décrétales. Mais bientôt compromise par les prétentions et les efforts mêmes de Boniface VIII pour la soutenir, elle s'affaiblit. L'unité de la foi s'altéra comme celle du pouvoir. Les embarras naissaient les hérésies, qui furent les doutes philosophiques du moyen âge, se multipliaient; la plus fameuse de ces hérésies fut celle des Albigeois. En voici l'origine.

:

Le manichéisme, débris et corruption du christianisme, auquel d'abord il avait été lié, après être long-temps resté obscur, reparut dans les contrées occidentales de l'Arménie, et, aux septième et huitième siècles, forma la secte des pauliciens.

Les pauliciens, chassés de l'Asie par les persécutions des empereurs grecs, reçus dans le Languedoc près d'Albi par Raymond, comte

de Toulouse, se multiplièrent aussi en Italie sous le nom de paterini. La persécution des pauliciens dans l'empire d'Orient, de 845 à 886, introduisit dans l'Occident les germes de la réforme par deux voies opposées. Les Bulgares, au milieu desquels les empereurs grecs avaient transplanté une partie de ces sectaires, s'étant adonnés plus tard au commerce, répandirent leur doctrine dans toute la vallée du Danube, qu'ils parcouraient avec leurs marchandises, et la portèrent enfin en Bohême, où elle prépara les voies à Jean Hus et à Jérôme de Prague. Les autres pauliciens qui étaient demeurés en Arménie et en Syrie profitèrent de la tolérance des kalifes pour porter leurs opinions avec leur commerce en Afrique, en Espagne, et enfin dans l'Albigeois, partie de la France la plus rapprochée de la domination des Maures. Du Languedoc, cette croyance se répandit dans tous les pays où la langue provençale était cultivée, des extrémités de la Catalogne à celles de la Lombardie'.

Elle s'étendit sous des noms divers: catharistes ou puritains, pétrobussiens, henriciens picards, paterini; toutes nuances légères qui se sont résumées et effacées sous le nom d'Al

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bigeois, qui aussi étaient appelés Bulgares, car ils reconnaissaient un patriarche ou primat en Bulgarie '.

A côté de ces sectes, s'en éleva une autre que l'on a quelquefois confondue avec elles, mais qui, bien que la même au fond, l'indépendance des opinions, en était distincte et dans son origine et dans ses croyances : je veux dire les Vaudois 2.

Le manichéisme, qui faisait le fond de la doctrine des Albigeois, était un produit des anciennes superstitions et des subtilités de l'Orient. Par ses dogmes, il se rattachait à tous les égaremens de la philosophie païenne et hébraïque. Les pauliciens reconnaissaient et étudiaient les pères de l'Église; mais ils attribuaient la création du monde à une divinité malfaisante, qu'ils supposaient être l'auteur de

Hæretici albigenses papam suum appellant, habitantem in finibus Bulgarorum, Croatiæ et Dalmatiæ, juxta Hungarorum nationem. (C. PORTUENSIS ad Rothomag. archiep.)

› Waldenses autem dicti sunt a primo hujus hæresis auctore, qui nominatus fuit Waldensis. Dicuntur autem pauperes de Lugduno, quia ibi incœperunt in professione paupertatis. (WILLELMUS NEUBRIGENSIS, ann. 1197. De rebus angl., lib. 3, c. 13.) Quodam præsagio futurorum sortiti vocabulum dicti sunt Waldenses nimirum a Valle densa eo quod profundis et densis errorum tenebris involvuntur. (BERNARDUS, Abbas Fontis Calidi, contra Waldenses. Bibl. pp. max., t. 24.)

la loi judaïque ; et, en conséquence, ils rejetaient tout l'Ancien Testament. Croyant, avec les gnostiques, que Jésus-Christ était revêtu sur la terre d'un corps céleste et impérissable, ils niaient qu'il fût réellement mort et ressuscité.

La doctrine des Vaudois, au contraire, bien que fausse, était simple et dégagée de toute influence des écoles, de tout sophisme. Née au pied des Alpes, dans l'esprit de quelques pasteurs, au milieu des rêveries de l'imagination et des réflexions de la solitude, elle fut en Europe le premier réveil spontané de l'intelligence cherchant la liberté. Ce n'était point désir de secte, mais conviction profonde. Les Vaudois ne cherchaient point à répandre leurs opinions, heureux de les conserver dans le secret de leur primitive obscurité. Aussi, moins répandus que les autres sectes, ils se sont mieux conservés : république politique et chrétienne, au milieu du despotisme féodal et religieux, précurseurs des moraviens modernes et des protestans, ils avaient des ministres de leur choix. Ils ne reconnaissaient ni la légitimité des sermens ni celle de la peine capitale '.

Item dicunt quod peccant omnes judicium vel justitiam

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