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feroient en danger d' aimer: ainfi vous pouvez encore par les differens airs de vôtre vilage, et par le ton de votre voix leur reprefenter avec horreur les gens qu'ils ont vûs en colère ou dans quelqu' autre déréglement, et prendre les tons les plus doux avec le vifage le plus ferein pour leur representer avec admiration ce qu'ils ont vu faire de fage et de inodefte.

Je ne donne pas ces petites chofes pour grandes. Mais enfin ces difpofitions éloignées font des commencemens qu'il ne faut pas négliger, et cette maniere de prevenir de loin les enfans à des fuites infenfibles qui facilitent l'éducation.

Si on doute encore du pouvoir que ces preiniers préjugez de l'enfance ont fur les hommes, on n'à qu'à voir combien le souvenir, des chofes qu'on a aimées dans l'enfance, eft encore vif et touchant dans un àge avancé. Si au lieu de donner aux enfans de vaines craintes des Fantômes, et des Efprits, qui ne font qu' affoiblir par de trop grands ebranlemmens leur cerveau encore tendre: fi au lieu de les laiffer fuivre toutes les imaginations de leurs nourrices pour les chofes qu'ils doivent aiiner ou fuir, on s'attachoit à leur donner toujours une idée agréable du bien, et une idée affreuse du mal: cette prévention leur faciliteroit beaucoup dans la fuite la pratique de toutes les vertus. Au contraire on leur fait craindre un Prêtre vêtu de noir, on ne leur parle de la mort que pour les effrayer, on leur raconte que les morts reviennent la nuit fous des figures hideuses: tout cela n'aboutit qu'à rendre une ame foible et timide, et qu'à la préoccuper contre les meilleures chofes..

Ce qui eft le plus utile dans les premieres années de l'enfance; c'eft de ménager la fanté de l'enfant, de Beisp.Samml. 8.Bd. 1,Abth, tâcher

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tâcher de lui faire un fang doux par le choix des alimens et par un régime de vie fimple, c'eft de régler ses repas, en forte qu'il mange toûjours à peu près aux mèmes heures, qu'il mange affez fouvent à proportion de fon befoin, qu'il ne mange point hors des repas, parceque c'eft furcharger l' eftomac, pendant que la digestion n'eft pas finie, qu'il ne mange rien de haut goût qui l'excite à manger au delà de fon besoin, et qui dégoûte des alimens plus convenables à la fanté, qu' enfin on ne lui ferve pas trop de chofes différentes: car la variété des viandes qui viennent l' une après l'autre, foûtient l'appetit, après que le vrai besoin de manger eft fini.

Ce qu'il y a encore de très-important, c' eft de laiffer affermir les ornages, en ne preffant point l' instruction, d'éviter tout ce qui peut allumer les pas fions: d'accoûtumer doucement l'enfant à être privé des chofes pour lesquelles il a temoigné trop d'ardeur, afin qu'il n'efpére jamais d'obtenir les chofes, qu'il defire.

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Si peu que le naturel des enfans foit bon, on peut les rendre ainfi dociles, patiens, fermes, gais et tranquilles; au lieu que fi on néglige ce premier âge, ils y deviennent ardens et inquiets pour toute leur vie; leur fang fe brule, les habitudes fe forment, le corps encore tendre, et l'ame qui n'a encore aucune pente vers aucun objet, se plient vers le mal, il se fait en eux une efpece de fecond peché originel, qui eft la fource de mille defordres quand ils font plus grands.

Dès qu'ils font dans un age plus avancé, où leur raison est toute développée, il faut que toutes les paroles qu'on leur dit, fervent à leur faire aimer la verité, et à leur inspirer le mépris de toute diffunula

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tion. Ainfi on ne doit jamais se servir d'aucune feinte pour les appaifer, ou pour leur perfuader ce qu' on vent. Par là on leur enseigne la finesse qui n'oublient jamais; il faut les mener par la railon autant qu'on peut.

Mais examinons de plus près l'état des enfans, pour voir plus en detail ce qui leur convient. La subftance de leur cerveau eft molle, et elle fe durcit tous les jours. Pour leur efprit, il ne fçait rien, tout lui eft nouveau, cette mollesse du cerveau fait que tout s'y imprime facileinent, et la furprife de la nouveauté fait qu'ils admirent ailément, et qu'ils font fort curieux. Il eft vrai auffi que cette humidité, et cette mollesse du cerveau jointe à une grande chaleur, lui donne un mouvement facile et continuel; delà vient cette agitation des enfans qui ne peuvent arrèter leur esprit à aucun objet, non plus que leur corps en aucun lieu.

D'un autre côté les enfans ne fçachant encore rien penser, ni faire d'eux mêmes, ils remarquent tout, et ils parlent peu, fi on ne les accoûtume à parler beaucoup, et c'eft dequoi il faut bien le garder. Souvent le plaifir qu'on veut tirer des jolis enfans les gâte; on les accoûtume à hazarder tout ce qui leur vient dans l'efprit, et à parler des chofes, dont ils n'ont pas encore des connoiffances distinctes, il leur en refte toute leur vie l'habitude de juger avec précipitation, et de dire des chofes dont ils n'ont point d'idées claires, ce qui fait un très - mauvais caractere d'esprit.

Ce plaifir qu'on veut tirer des enfans produit encore un effet pernicieux, ils apperçoivent qu'on les regarde avec complaifance, qu'on obferve tout ce qu'ils fant, qu'on les écoute avec plaifir. Par lá ils s'accoutument à croire que le monde fera toujours occupé d'eux.

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Pendant cet âge où l'on eft applaudi, et où l'on n'a point encore éprouvé la contradiction, on conçoit des efperancès chimériques, qui préparent des mécomptes infinis pour toute la vie. J'ai vu des enfans qui croyoient qu'on parloit d'eux, toutes les fois qu'on parloit en fecret, parce qu'ils avoient remarqué qu'on l'avoit fait fouvent. Ils s'imaginoient n'avoir en eux rien que d'extraordinaire et d'admirable. Il faut donc prendre foin des enfans, fans leur laiffer voir qu'on penfe beaucoup à eux. Montrez leur que c'est par amitié et par le besoin où ils font d'être redrellez que vous êtes attentif à leur conduite, et non pár l'admiration de leur efprit. Contentez-vous de les former peu à peu felon les occafions qui viennent naturellement; quand même yous pourriez avancer beaucoup l'efprit d'un enfant, fans le preffer, vous devriez craindre de le faire, car le danger de la vanité et de la présomption 'eft toûjours plus grand, que le fruit de ces éducations prématurées qui font tant de bruit.

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Il faut fe contenter de fuivre et d'aider la nature; les enfans fçavent peu, il ne faut pas les exciter à parler, mais comme ils ignorent beaucoup de chofes, ils ont beaucoup de queftions à faire, auffi en font-ils beaucoup. Il fuffit de leur répondre précifément, et d' ajoûter quelquefois certaines petites comparaifons pour rendre plus fenfibles les éclairciffemens, qu'on doit leur donner: s'ils jugent de quel· que chose fans le bien fçavoir; il faut les embarasser par quelque question nouvelle pour leur faire fentir leur faute, fans les confondre rudement; en même temps il faut leur faire apperçevoir non par des louanges vagues, mais par quelque marque effective d'eftime, qu'on les approuve bien plus quand ils

doutent,

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doutent, et qu'ils demandent ce qu'ils ne fçavent pas, que quand ils décident le mieux. C'est le vrai moyen de mettre dans leur efprit avec beaucoup de politesse une modeftie veritable, et un grand mépris pour les conteftations qui font fi ordinaires aux jeunes personnes un peu éclairées.

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Dès qu'il paroit que leur raifon a fait quelques progrès, il faut fe fervir de cette expérience pour les prémunir contre la préfomption; vous voyez, direzvous, que vous êtes plus raifonnable maintenant que vous ne l'étiez l'année paffée. Dans un an vous verrez encore des chofes que vous n'êtes pas capable de voir aujourd'hui. Si l'année paffée vous aviez voulu juger des chofes que vous fçavez maintenant, et que vous ignoriez alors, vous en auriez mal jugé. Vous auriez eu grand tort de prétendre fçavoir ce qui etoit au delà de vôtre portée. eft de même aujourd'hui des chofes qui vous restent à connoitre. Vous verrez un jour combien vos jugemens préfens font imparfaits. Cependant fiez-vous aux confeils des perfonnes qui jugent comme vous jugerez vous-même, quand vous aurez leur âge et leur experience.

Il en

La Curiofité des enfans eft un penchant de la na. ture qui va comme au devant de l'instruction, ne manquez pas d'en profiter: Par exemple à la campagne, ils voyent un moulin, et ils veulent fçavoir ce que c'eft, il faut leur montrer comment le prépare l'aliment qui nourrit l'homme. Ils apperçoivent des moiffonneurs, il faut leur expliquer ce qui font: comment on seme le bled, et cominent il se multiplie dans la terre. A la ville ils voyent des boutiques où s'exercent plufieurs arts, et où l'on vend diverfes marchandises. 93

Il ne faut

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