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Seul je rêve avec vous, loin du trouble et du bruit; Par vous, en jour heureux je sais changer la nuit.

Eh! comment résister au charme qui m'inspire?
Tout parle ici de vous (1); ces lieux sont votre empire.
Ici, vous conduisiez la plume de Rollin;
Vous accordiez ici la lyre de Coffin;

J'y vois leur successeur, qui, rival de leur gloire,
En suivant leur exemple, honore leur mémoire;
Qui, pour les vrais talents d'un noble amour épris,
Sait juger leurs travaux, sait distinguer leur prix.
J'y vois ce maître aimable (2), et qui, d'un vol agile,
Court d'Horace à Newton, d'Aristote à Virgile.
Et toi (3), que doit bientôt couronner Apollon,
Toi, mon fidéle ami, permets-moi ce beau nom;
La victoire a trois fois signalé ta jeunesse;
Trois fois sur tes lauriers j'ai pleuré de tendresse.
Cet amour t'est bien dû: ta généreuse main
M'aplanit des beaux arts le pénible chemin.
Poursuis; vole à la gloire, et foule aux pieds l'envie :
Mes jours s'embelliront de l'éclat de ta vie.

(1) Ces vers sont un foible témoignage de la reconnoissance que je dois à la maison 'où j'ai le bonheur de vivre (le collège de Beauvais, à Paris). L'éloge d'un collège n'est peut-être pas bien intéressant pour ce qu'on appelle le beau monde; mais il peut l'être, je crois, pour ceux qui estiment ce qui est estimable.

(2) M. Turquet, célèbre professeur de philosophie.

(3) M. Thomas, qui vient de remporter, pour la troisième fois, le prix d'éloquence de l'Académie française.

ÉPITRE A M. LAURENT,

A l'occasion d'un bras artificiel qu'il a fait pour un soldat invalide.

1761.

Archimede nouveau, qui, par d'heureux efforts, Pour dompter la nature, imites ses ressorts; Qui sers l'humanité, ton maître et ta patrie; Ma muse doit des vers à ta noble industrie. Assez d'autres sans moi souilleront leur encens: Qu'ils l'offrent à Plutus; je le dois aux talents. Les talents, de nos biens sont la source féconde; Ils forment les trésors et les plaisirs du monde. Sur cette terre aride, asile des douleurs, L'un fait naître des fruits, l'autre séme des fleurs. Pourquoi faut-il, hélas! que notre esprit volage N'aime que le brillant, dont nos mœurs sont l'image? J'aime à voir de Pigal l'industrieuse main Donner des sens au marbre, et la vie à l'airain. Je dévore des yeux ces toiles animées Où brillent de Vanloo les touches enflammées. Voltaire, tour-à-tour sublime et gracieux, Peut chanter les héros, les belles et les dieux. Je souris à Lani, qui, bergère ou déesse, Fait briller dans ses pas la grace ou la noblesse.

Et toi, divin Rameau! par tes magiques airs,
Peins les plaisirs des cieux, ou l'horreur des enfers.
Mais serai-je insensible à ces talents utiles,
Qui portent l'abondance à nos cités tranquilles;
Qui, pour nous, en tous lieux, multipliant leurs soins,
Consacrent leur génie à servir nos besoins?

Non; ces arts bienfaiteurs sont respectés des sages;
Et moins ils sont brillants, plus on leur doit d'hommages.
Sans doute ils te sont dus, mortel industrieux!

Oui, tu gagnes mon cœur, en étonnant mes yeux.
Cet art, qui, suppléant la force par l'adresse,
Fixe la pesanteur, calcule la vitesse,
Asservit à ses lois et l'espace et le temps,

Et maîtrise à son gré le feu, l'onde et les vents;
Cet art a signalé l'aurore de ta vie :

Ton ame l'embrassa par l'instinct du génie.
Déja tes foibles mains, que lassoit le repos,
Préludoient, en jouant, à tes hardis travaux.
Un astre impérieux nous fait ce que nous sommes,
Et les jeux de l'enfance annoncent les grands hommes:
Tel Buffon, dans le sein d'un germe à peine éclos,
Déja distingue un tronc, des fruits et des rameaux.
Quels prodiges depuis ont rempli ta carrière!
Je te suis dans les champs de la Flandre guerrière :
Tristes champs, où Cérès voit naître ses moissons
sang dont le dieu Mars engraissa les sillons!
Là ton art, sur l'Escaut, pour défendre nos villes,
Posoit des murs de fer et des remparts mobiles;

Du

Lançoit sur l'ennemi des torrents déchaînés (1),
Ou portoit nos soldats sur les flots étonnés (2).

Mais la gloire t'appelle à de plus grands miracles (3
La puissance d'un art s'accroît par les obstacles.
C'est par eux qu'un dieu sage, irritant nos efforts,
Nous enchaîne au travail, et nous vend ses trésors.
C'est ainsi que ses mains, avares et fécondes,
Ont caché sous la terre, en des mines profondes,
Cet or qui fait mouvoir et vivre les états,

Et le bronze et l'airain tonnant dans les combats;
L'acier qui fait tomber les sapins et les chênes;
Le fer qui de Cérès fertilise les plaines,
Et le métal enfin, qui, docile à nos lois,
S'arrondit en canaux, ou s'étend sur nos toits.
L'Armorique long-temps, de ce métal utile,
Dans de vastes marais cacha l'amas stérile.
Tu parois: l'onde fuit, la terre ouvre son sein,
Et ne rend ses tributs qu'à ta puissante main.

Heureux, qui sait briller par d'utiles prodiges!
D'autres, féconds pour nous en frivoles prestiges,
Osent prostituer à de pénibles jeux

Un art qu'à nos besoins ont destiné les dieux.

Pour leurs concitoyens, que produit leur adresse?
Ils nourrissent le luxe, ils flattent la mollesse.

Oui, dans eux le génie est un enfant badin;

Mais dans toi, c'est un dieu propice au genre humain. (2) Ponts portatifs. (3) Dessèchement

(1) Écluses. des mines.

Tu sentis le pouvoir de ses mains bienfaisantes; Tu les mouilles encor de tes larmes touchantes, Infortuné mortel! heureux dans ton malheur, Par ses rares talents, plus encor par son cœur! Je crois voir le moment, où, des traits de la foudre, Tes bras au champ de Mars furent réduits en poudre; Je crois te voir encor, meurtri, défiguré, Traînant le reste affreux de ton corps déchiré, Te montrer tout sanglant à sa vue attendrie: La pitié qui lui parle enflamme son génie. O prodige! ton bras reparoît sous sa main: Ses nerfs sont remplacés par des fibres d'airain. De ses muscles nouveaux essayant la souplesse, Il s'étend et se plie, il s'élève et s'abaisse. Tes doigts tracent déja le nom que tu chéris ;, La nature est vaincue, et l'art même est surpris. Que ne peut point de l'art l'activité féconde!

C'est par

elle que l'homme est souverain du monde. De la nature en vain tu crois naître le roi: Mortel! sans le travail, rien n'existe pour toi. Ce globe n'est soumis à ta vaste puissance, Qu'à titre de conquête, et non pas de naissance; Et tu n'es distingué parmi les animaux Que par ton noble orgueil, ton génie et tes maux. Vois l'énorme éléphant, dont la masse effrayante Fait trembler les forêts dans sa course pesante: Près de ce mont vivant, que sont tes foibles bras? Mais sa force n'est rien; il ne la connoît pas.

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