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est imminente. Que dis-je! peut-être au moment où nous respirons la guerre, où nous en exaltons la gloire, enlevés dans un tourbillon de flammes, nous allons être jetés et cloués chacun sur un rocher, pour servir de jouet et de proie à tous les ouragans fougueux; ou, précipités et enchaînés sans retour au fond d'une mer bouillante, nous ne pousserons, nous n'entendrons que d'éternels gémissements, privés de tout repos, de toute pitié, de tout secours, durant des siècles de désespoir. Certes, alors, nous serons bien plus malheureux. Ainsi donc point de guerre; soit ouverte, soit cachée, ma voix la condamne également. Eh! que peut la force, que peut la ruse contre cet être qui voit tout d'un coup d'œil; qui, du haut des cieux, rit de nos vains projets, et dont le bras est aussi puissant pour repousser nos attaques, que sa prudence est habile à déconcerter nos complots? Nous, cependant, Esprits célestes, vivronsnous ainsi déshonorés, foulés aux pieds, accablés de fers, d'opprobres et de tourments? Cet état est cruel, sans doute; mais dans la crainte d'un plus cruel encore, il faut bien s'y soumettre, puisque nous sommes sous le joug du destin irrévocable et d'un vainqueur tout-puissant. Une loi sage nous a doués d'une force égale pour combattre et pour souffrir; et la raison nous eût prescrit le dernier parti, si nous l'eussions consultée dès l'origine de notre querelle avec un aussi formidable ennemi, et dans un événement d'une issue aussi incertaine. Je ris quand je vois ces guerriers si braves avant le combat, si lâches après la défaite, frémir à la vue de l'exil, des fers, de l'ignominie et des supplices, châtiments infligés par le vainqueur, et qu'ils n'ignoraient pas devoir être le partage du vaincu. C'est là maintenant notre sort. Si nous avons le courage de le supporter, le courroux de notre ennemi s'apaisera peut-être un jour; peut-être, rassasié de vengeances, il oubliera, dans l'immense éloignement qui les sépare de lui, des êtres qui ne l'offenseront plus; l'activité de ces flammes, n'étant plus animée par son souffle, se ralentira par degrés. Notre pure essence alors surmontera cette vapeur suffocante, ou l'habitude pourra l'y rendre insensible; ou, s'identifiant à notre nature, ces feux terribles seront pour nous sans chaleur, et ces ténèbres sans obscurité. Tels sont les changements que nous devons attendre de la constance, sans parler de ceux que peuvent amener le hasard, le destin, l'avenir au vol toujours agile. Patients dans un état malheureux, mais non pas insupportable, ne cherchons donc pas nous-mêmes à le rendre désespéré.

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"Their noxious vapour; or, inur'd, not feel;
"Or, chang'd at length, and to the place conform'd
"In temper and in nature, will receive
"Familiar the fierce heat, and void of pain;
"This horror will grow mild, this darkness light;
"Besides what hope the never-ending flight

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"Of future days may bring, what chance-what change, "Worth waiting; since our present lot appears "For happy, though but ill; for ill not worst, "If we procure not to ourselves more woe.' Thus Belial, with words clothed in reason's garb, Counsell'd ignoble ease, and peaceful slothNot peace and after him thus Mammon spake.

"Either to disenthrone the King of heaven "We war, if war be best, or to regain "Our own right lost him to unthrone we then "May hope, when everlasting fate shall yield "To fickle chance, and Chaos judge the strife: "The former vain to hope argues as vain "The latter for what place can be for us "Within heaven's bound, unless heaven's Lord supreme "We overpower? Suppose he should relent, "And publish grace to all, on promise made "Of new subjection; with what eyes could we "Stand in his presence humble, and receive "Strict laws impos'd, to celebrate his throne "With warbled hymns, and to his Godhead sing "Forc'd hallelujahs? while he lordly sits "Our envied Sovereign, and his altar breathes "Ambrosial odours, and ambrosial flowers, "Our servile offerings! This must be our task "In heaven,-this our delight! How wearisome "Eternity so spent, in worship paid

"To whom we hate! Let us not then pursue,

"By force impossible, by leave obtain'd

"Unacceptable, though in heaven, our state

"Of splendid vassalage; but rather seek

"Our own good from ourselves, and from our own

"Live to ourselves, though in this vast recess,

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Free, and to none accountable; preferring

"Hard liberty before the easy yoke

"Of servile pomp. Our greatness will appear

"Then most conspicuous, when great things of small,

"Useful of hurtful, prosperous of adverse,

"We can create; and in what place soe'er

"Thrive under evil, and work ease out of pain,

son,

C'est ainsi que, par des paroles revêtues d'une apparence de raiBélial tâcha d'inspirer le désir, non pas de la paix, mais d'un repos ignoble, d'une lâche inaction. Après lui, Mammon fit entendre ces mots :

« S'il nous convient de faire la guerre, c'est ou pour détrôner le roi des cieux, ou pour rentrer en possession de nos droits usurpés. Nous ne pouvons espérer de détrôner l'Eternel, que lorsque l'immuable destin sera soumis au hasard volage, et que le Chaos sera l'arbitre de nos querelles. L'absurdité de la première espérance est une preuve de la fausseté de l'autre ; car, à moins de subjuguer le souverain maître des cieux, quelle place pouvons-nous occuper dans son empire? Mais j'admets qu'il se laisse fléchir; que sur le serment renouvelé de notre obéissance, il accorde une amnistie générale: de quel ceil soutiendrons-nous sa présence? dans quelle posture recevrons-nous ses ordres impérieux? Tandis qu'il déploiera le faste de son pouvoir suprême, que ses autels exhaleront l'ambroisie et le parfum des fleurs, nos mains seront-elles condamnées à lui présenter ces serviles offrandes, et notre bouche à faire entendre au pied de son trône des hymnes de joie et des chants de triomphe? Ce serait là notre emploi, nos uniques plaisirs dans le ciel! Qu'elle serait accablante, une éternité d'hommages rendus à l'objet de notre haine! Ah! cessons de poursuivre un honneur que nous ne pouvons conquérir, ou de mendier un pompeux esclavage qu'il serait honteux d'accepter. Cherchons plutôt notre bonheur au fond de nous-mêmes; apprenons à vivre pour nous; indépendants, ne devant de compte à personne dans cette vaste retraite, et préférant une âpre liberté au joug commode d'une magnifique servitude. Notre gloire sera bien plus éclatante, lorsque de faibles moyens nous aurons su tirer de grands effets; du nuisible l'utile; de l'adversité le germe du bonheur; prospérer au sein du mal même, et nous former enfin, à force de travail et de patience, un état exempt de peines! Serions-nous effrayés de la nuit qui nous environne? Combien de fois le monarque suprême a-t-il pris plaisir à se transporter au nilieu des plus sombres nuages, à couvrir de

"Through labour and endurance. This deep world "Of darkness do we dread? How oft amidst

"Thick clouds and dark doth heaven's all-ruling sire "Choose to reside, (his glory unobscur'd,)

"And with the majesty of darkness round

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"Covers his throne; from whence deep thunders roar "Must'ring their rage, and heaven resembles hell! "As he our darkness, cannot we his light "Imitate when we please? This desert soil "Wants not her hidden lustre, gems, and gold; "Nor want we skill, or art, from whence to raise Magnificence; and what can heaven show more? "Our torments also may, in length of time, "Become our elements; these piercing fires "As soft, as now severe; our temper changed, "Into their temper; which must needs remove "The sensible of pain. All things invite "To peaceful counsels, and the settled state "Of order, how in safety best we may "Compose our present evils, with regard "Of what we are, and where, dismissing quite "All thoughts of war. Ye have what I advise."

He scarce had finish'd, when such murmur fill'd
The assembly, as when hollow rocks retain
The sound of blustering winds, which all night long
Had rous'd the sea, now with hoarse cadence lull
Seafaring men o'er-watch'd, whose bark by chance,
Or pinnace anchors in a craggy bay

After the tempest : such applause was heard
As Mammon ended, and his sentence pleas'd,
Advising peace; for such another field

They dreaded worse than hell: so much the fear
Of thunder, and the sword of Michaël,

Wrought still within them; and no less desire
To found this nether empire, which might rise,
By policy, and long procéss of time,

In emulation opposite to heaven.

Which when Beelzebub perceiv'd, than whom,
Satan except, none higher sat, with grave
Aspéct he rose, and in his rising seem'd
A pillar of state: deep on his front engrav'n
Deliberation sat, and public care;
And princely counsel in his face yet shone,
Majestic, though in ruin: sage he stood,
With Atlantean shoulders fit to bear
The weight of mightiest monarchies: his look
Drew audience, and attention still as night,

la majesté des ténèbres son trône inaltérable! de rugissants tonnerres roulaient autour de lui leur profonde fureur, et déployaient dans les cieux toute l'horreur des enfers. Ne pouvons-nous imiter sa lumière, comme il imite notre obscurité? Ce désert a ses beautés, quoique cachées; il recèle des mines d'or, des perles précieuses. Avec les talents dont nous sommes doués, nous pouvons former des prodiges de magnificence. Qu'est-ce que le ciel nous offrirait de plus? Peut-être aussi nos maux s'assimileront avec le temps à notre propre substance; les feux qui nous déchirent seront alors aussi doux qu'ils sont maintenant cruels, et leur température étant devenue notre élément, nous cesserons d'être sensibles à la douleur. Ainsi, en considérant l'état où nous sommes et le lieu que nous habitons, tout nous invite à chercher les moyens d'adoucir nos peines, à fonder sur de sages lois notre nouvel empire, et à repousser loin de nous de vains projets de guerre. Telle est mon opinion.

A peine eut-il achevé, que l'assemblée fut remplie d'un bruit sourd et confus, pareil à celui qui résonne dans le creux des rochers, lorsqu'après avoir battu les mers avec furie pendant une nuit entière, les vents bruyants endorment, de leur rauque murmure, les matelots excédés de fatigue, dans la baie semée d'écueils où leur vaisseau a laissé tomber l'ancre. Tel fut le bruit des applaudissements qui s'éleva du conseil des rebelles, quand Mammon eut cessé de parler. Son avis pour la paix les remplissait de joie; ils redoutaient mille fois moins l'enfer que le sort d'une autre bataille, tant ils frémissaient encore au seul souvenir de la foudre et de l'épée de l'archange Michel; tant ils étaient épris du projet de fonder, dans leur sombre demeure, un empire qui, par l'ordre et la sagesse, pût un jour être opposé à celui des cieux! A la vue de cette disposition des esprits, le premier des rebelles après Satan, Belzebuth, se lève avec un aspect imposant, et paraît, en se levant, la colonne de l'État. Sur son front profondément sillonné, siégent la délibération et le soin des affaires publiques. Majestueux au milieu des ruines dont il est la proie, une haute sagesse respire sur son visage. Nouvel Atlas, il eût supporté le poids des plus vastes monarchies. Son regard commande l'attention, et le silence de l'assemblée, au son de sa voix, est aussi profond que le silence de la nuit ou que celui du midi dans un beau jour d'été.

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