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Loi de forma

tion d'un groupe.

cations.

VII

Arrivés là nous pouvons entrevoir les principaux

Exemples et indi- traits des transformations humaines, et commencer à chercher les lois générales qui régissent non plus des événements, mais des classes d'événements, non plus telle religion ou telle littérature, mais le groupe des littératures ou des religions. Si par exemple on admettait qu'une religion est un poëme métaphysique accompagné de croyance; si on remarquait en outre qu'il y a certains moments, certaines races et certains milieux, où la croyance, la faculté poétique et la faculté métaphysique se déployent ensemble avec une vigueur inusitée; si on considérait que le christianisme et le bouddhisme sont éclos à des époques de synthèses grandioses et parmi des misères semblables à l'oppression qui souleva les exaltés des Cévennes; si d'autre part on reconnaissait que les religions primitives sont nées à l'éveil de la raison humaine, pendant la plus riche floraison de l'imagination humaine, au temps de la plus belle naïveté et de la plus grande crédulité; si on considérait encore que le mahométisme apparut avec l'avénement de la prose poétique et la conception de l'unité nationale, chez un peuple dépourvu de science, au moment d'un soudain développement de l'esprit ; on pourrait conclure qu'une religion naît, décline, se reforme et se transforme selon que les circonstances fortifient et

assemblent avec plus ou moins de justesse et d'énergie ses trois instincts générateurs, et l'on comprendrait pourquoi elle est endémique dans l'Inde, parmi des cervelles imaginatives, philosophiques, exaltées par excellence; pourquoi elle s'épanouit si étrangement et si grandement au moyen âge, dans une société oppressive, parmi des langues et des littératures neuves; pourquoi elle se releva au seizième siècle avec un caractère nouveau et un enthousiasme héroïque, au moment de la Renaissance universelle, et à l'éveil des races germaniques; pourquoi elle pullule en sectes bizarres dans la grossière démocratie américaine, et sous le despotisme bureaucratique de la Russie, pourquoi enfin elle se trouve aujourd'hui répandue en Europe avec des proportions et des particularités si différentes selon les différences des races et des civilisations. Il en est ainsi pour chaque espèce de production humaine, pour la littérature, la musique, les arts du dessin, la philosophie, les sciences, l'État, l'industrie, et le reste. Chacune d'elles a pour cause directe une disposition morale, ou un concours de dispositions morales; cette cause donnée, elle apparaît, ⚫ cette cause retirée, elle disparaît; la faiblesse ou l'intensité de cette cause mesure sa propre intensité ou sa propre faiblesse. Elle lui est liée comme un phénomène physique à sa condition, comme la rosée au refroidissement de la température ambiante, comme la dilatation à la chaleur. Il y a ici des couples dans le monde moral, comme il yena dans le

monde physique, aussi rigoureusement enchaînés, et aussi universellement répandus dans l'un que dans l'autre. Tout ce qui dans un de ces couples produit, altère, ou supprime le premier terme, produit, altère ou supprime le second par contre-coup. Tout ce qui refroidit la température ambiante, fait déposer la rosée. Tout ce qui développe la crédulité en même temps que les vues poétiques d'ensemble engendre la religion. C'est ainsi que les choses sont arrivées, c'est ainsi qu'elles arriveront encore. Sitôt que nous savons quelle est la condition suffisante et nécessaire d'une de ces vastes apparitions, notre esprit a prise aussi bien sur l'avenir que sur le passé. Nous pouvons dire avec assurance dans quelles circonstances elle devra renaître, prévoir sans témérité plusieurs parties de son histoire prochaine et esquisser avec précaution quelques traits de son développement ultérieur.

Problème géné

ral et avenir de l'histoire.

thode psycholo

VIII

Aujourd'hui l'histoire en est là, ou plutôt elle

Mé est tout près de là, sur le seuil de cette recherche. gique. Valeur des La question posée en ce moment est celle-ci : Étant

littératures. Objet

de ce livre. donné une littérature, une philosophie, une société, un art, telle classe d'arts, quel est l'état moral qui la produit? et quelles sont les conditions de race, de moment et de milieu les plus propres à produire cet état moral? Il y a un état moral distinct pour chacune de ces formations et pour chacune de

leurs branches; il y en a un, pour l'art en général, et chaque sorte d'art, pour l'architecture, pour la peinture, pour la sculpture, pour la musique, pour la poésie; chacune a son germe spécial dans le large champ de la psychologie humaine; chacune a sa loi, et c'est en vertu de cette loi qu'on la voit se lever au hasard, à ce qu'il semble, et toute seule parmi les avortements de ses voisines, comme la peinture en Flandre et en Hollande au dix-septième siècle, comme la poésie en Angleterre au seizième siècle, comme la musique en Allemagne au dix-huitième siècle. A ce moment et dans ces pays, les conditions se sont trouvées remplies pour un art, et non pour les autres, et, une branche seule a bourgeonné dans la stérilité générale. Ce sont ces règles de la végétation humaine que l'histoire à présent doit chercher; c'est cette psychologie spéciale de chaque formation spéciale qu'il faut faire; c'est le tableau complet de ces conditions propres qu'il faut aujourd'hui travailler à composer. Rien de plus délicat et rien de plus difficile; Montesquieu l'a entrepris, mais de son temps l'histoire était trop nouvelle, pour qu'il put réussir; on ne soupçonnait même point encore la voie qu'il fallait prendre, et c'est à peine si aujourd'hui nous commençons à l'entrevoir. De même qu'au fond, l'astronomie est un problème de mécanique et la physiologie un problème de chimie, de même l'histoire au fond est un problème de psychologie. Il y a un système particulier d'impressions et d'opérations intérieures qui fait l'artiste, le croyant, le

musicien, le peintre, le nomade, l'homme en société; pour chacun d'eux, la filiation, l'intensité, les dépendances des idées et des émotions sont différentes; chacun d'eux a son histoire morale et sa 'structure propre, avec quelque disposition maîtresse et quelque trait dominateur. Pour expliquer chacun d'eux, il faudrait écrire un chapitre d'analyse intime, et c'est à peine si aujourd'hui ce travail est ébauché. Un seul homme, Stendhal, par une tournure d'esprit et d'éducation singulière, l'a entrepris, et encore aujourd'hui la plupart des lecteurs trouvent ses livres paradoxaux et obscurs; son talent et ses idées étaient prématurés; on n'a pas compris ses admirables divinations, ses mots profonds jetés en passant, la justesse étonnante de ses notations et de sa logique; on n'a pas vu que sous des apparences de causeur et d'homme du monde, il expliquait les plus compliqués des mécanismes internes, qu'il mettait le doigt sur les grands ressorts, qu'il importait dans l'histoire du cœur les procédés scientifiques, l'art de chiffrer, de décomposer et de déduire, que le premier il marquait les causes fondamentales, j'entends les nationalités, les climats et les tempéraments; bref, qu'il traitait des sentiments comme on doit en traiter, c'est-à-dire en naturaliste et en physicien, en faisant des classifications et en pesant des forces. A cause de tout cela, on l'a jugé sec et excentrique, et il est demeuré isolé, écrivant des romans, des voyages, des notes pour lesquels il souhaitait et obtenait vingt lecteurs. Et cependant, c'est

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