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écrasées; puisqu'elle n'est pas un art de mensonge, mais de vraie doctrine; puisqu'au lieu d'efféminer, elle aiguillonne le courage; puisqu'au lieu d'abuser l'esprit de l'homine, elle fortifie l'esprit de l'homme, plantons des lauriers pour enguirlander la tête des poëtes, plutôt que de permettre à l'impure haleine de ces diffamateurs de souffler sur les claires fontaines de la poésie1. » Par cette véhémence et ce sérieux, vous pouvez imaginer d'avance quels sont

ses vers.

VII

Bien des fois, après avoir lu des poëtes de cet âge, je suis resté penché sur les estampes contemporaines, me disant que l'homme, esprit et corps, n'était pas alors celui que nous voyons aujourd'hui. Nous aussi, nous avons des passions, mais nous ne sommes plus assez forts pour les porter. Elles nous

1. So that since the excellency of poetry may be so easely and so justly confirmed, and the low-creeping objections so soon trodden down, it not being an arte of lies, but of true doctrine; not of effeminateness, but of notable stirring of courage; not of abusing man's witt, but of strengthening man's witt; not banished, but honoured by Plato; let us rather plant more laurels for to ingarland the poet's heads, than suffer the ill favoured breath of such wrong speakers once to blow up on the cleare streams of poesie.

Voyez encore çà et là des vers qui éclatent comme ceux-ci :

Or Pindares apes, flamet they in phrases fine,
Enam' ling with pied flowers their thoughts of gold.

détraquent; nous ne sommes plus poëtes impunément. Alfred de Musset, Henri Heine, Edgard Poc, Burns, Byron, Shelley, Cowper, combien en citeraije? Le dégoût, l'abrutissement et la maladie, l'impuissance, la folie et le suicide, au mieux l'excitation permanente ou la déclamation fébrile, ce sont là aujourd'hui les issues ordinaires du tempérament poétique. Les fougues de la cervelle rongent les entrailles, dessèchent le sang, attaquent la moelle, secouent l'homme comme un orage, et la charpente humaine telle que la civilisation nous l'a faite n'est plus assez solide pour y résister longtemps. Ceux-ci plus rudement élevés, plus habitués aux intempéries, plus endurcis par les exercices du corps, plus roidis contre le danger, durent et vivent; y a-t-il un homme aujourd'hui qui pourrait supporter la tempête de passions et de visions qui a traversé Shakspeare, et finir comme lui en bourgeois sensé et renté dans son petit pays? Les muscles étaient plus fermes, la défaillance moins prompte. La fureur d'attention concentrée, les demi - hallucinations, l'angoisse et le halètement de la poitrine, le frémissement des membres qui se tendent involontairement et aveuglément vers l'action, tous les élans douloureux qui accompagnent les grands désirs les épuisaient moins; c'est pourquoi ils avaient longtemps de grands désirs et osaient davantage. D'Aubigné, blessé de plusieurs coups d'épée, croyant mourir, se fit attacher sur son cheval afin de revoir encore une fois sa maîtresse, fit ainsi plusieurs lieues,

perdant son sang, et arriva évanoui. Voilà les sentiments que nous devinons encore aujourd'hui dans leurs peintures, dans le regard droit qui s'enfonce comme une épée, dans cette force de l'échine qui se plie ou va se tordre, dans la sensualité, l'énergie, l'enthousiasme qui transpire à travers leurs gestes et leurs regards. Voilà le sentiment que nous découvrons encore aujourd'hui dans leurs poésies, chez Greene, Lodge, Jonson, Spenser, Shakspeare, chez Sidney comme chez tous les autres. On oublie bien vite les fautes de goût qui l'accompagnent, les affectations, le jargon bizarre. Est-il vraiment si bizarre? Supposez un homme qui, les yeux fermés, voit distinctement le visage adoré de sa maîtresse, qui l'a présent tout le jour, qui se trouble et tressaille en imaginant tour à tour son front, ses yeux, ses lèvres, qui ne peut pas et ne veut pas se détacher de sa vision, qui chaque jour s'enfonce davantage dans cette contemplation véhémente, qui à chaque instant est brisé par des anxiétés mortelles ou jeté hors de lui par des ravissements de bonheur; il perdra la notion exacte des choses. Une idée fixe devient une idée fausse. A force de regarder un objet sous toutes ses faces, de le retourner, d'y pénétrer, on le déforme. Quand on ne peut penser à un objet sans éblouissement et sans larmes, on l'agrandit et on lui suppose une nature qu'il n'a pas. Dès lors les comparaisons étranges, les idées alambiquées, les images excessives deviennent naturelles. Si loin qu'il aille, quelque objet qu'il touche,

il ne voit partout dans l'univers que le nom et les traits de Stella. Toutes ses idées le ramènent à elle. Il est tiré éternellement et invinciblement par la même pensée, et les comparaisons qui semblent lointaines ne font qu'exprimer la présence incessante et la puissance souveraine de l'image dont il est obsédé. Stella est malade; il semble à Sidney1 « que la joie hôte de ses yeux pleure en elle. » Ce mot est absurde pour nous. L'est-il pour Sidney qui, pendant des heures entières, s'est appesanti sur l'expression de ces yeux, qui a fini par voir en eux toutes les beautés du ciel et de la terre, qui, auprès d'eux, trouve toute lumière terne et tout bonheur fade? Comptez que dans toute passion extrême les lois ordinaires sont renversées, que notre logique française n'en est point juge, qu'on y rencontre des affectations, des enfances, des jeux d'esprit, des crudités, des folies, et que les violents états de la machine nerveuse sont comme un pays inconnu et extraordinaire où le bon sens et le bon langage ne pourront jamais pénétrer. Au retour du printemps, quand Mai étale sur les champs sa robe bigarrée de fleurs nouvelles, Astrophel et Stella vont s'asseoir sous l'ombre d'un bois écarté, dans l'air chaud, plein de bruissements d'oiseaux et d'émanations suaves. Le ciel sourit, le vent vient baiser les feuilles qui tremblent, les arbres penchés entrelacent leurs

1.

And Joy which is inseparate from those eyes,
Stella, now learnes (strange case) to weepe in thee.

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rameaux gonflés de séve, la terre amoureuse aspire avidement l'eau qui frissonne'. A genoux, le cœur palpitant, oppressé, il lui semble que sa maîtresse se transfigure; « sa jeune âme s'envole vers Stella, son nid bien-aimé; » Stella,« souveraine de sa peine et de sa joie; » Stella, « sur qui le ciel de l'amour a versé toute sa lumière; » Stella, « dont la parole bouleverse les sens; » Stella, « dont le chant donne au cœur la vision des anges'. » Ces cris d'adoration font comme un hymne. Chaque jour il écrit les pensées d'amour qui l'agitent, et dans ce long journal, continué pendant cent pages, on sent le souffle

1.

2.

In a grove most riche of shade,

Where birds wanton musike made,

May, then young, his pide weeds showing,
New perfumed with flowers fresh growing,

Astrophel, with Stella sweet,

Did for mutual comfort meet,
Both within themselves oppressed,
But each in the other blessed.

Their ears hungry of each word
Which the dere tongue would afford,

But their tongues restrained from walking
Till their harts had ended talking.

But when their tongues could not speake,
Love itself did silence breake,

Love did set his lips asunder,

Thus to spake in love and wonder....

(8° chanson.)

This small wind which so sweet is,
See how it the leaves doth kisse,
Each tree in his best attyring,
Sense of love to love inspiring.

Stella, soveraigne of my joy....
Stella, starre of heavenly fier,
Stella, loadstar of desier,

Stella, in whose shining eyes,

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