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digne. » Barbarie sur barbarie : « A Bristol, au temps de la conquête, la coutume était d'acheter des hommes et des femmes dans toutes les parties de l'Angleterre, et de les exporter en Irlande pour les vendre avec profit. Les acheteurs engrossaient ordinairement les jeunes femmes, et les menaient enceintes au marché afin d'en tirer un meilleur prix. Vous auriez vu avec chagrin de longues files de jeunes gens des deux sexes de la plus grande beauté, liés avec des cordes et journellement exposés en vente.... Ils vendaient ainsi comme esclaves leurs plus proches parents et même leurs propres enfants.... » Et le chroniqueur ajoute qu'ayant abandonné cet usage, «< ils donnèrent ainsi un exemple à tout le reste de l'Angleterre. ce qu'étaient les mœurs dans les plus hauts rangs, dans la famille du dernier roi'? Harold servait à boire au roi Édouard le Confesseur. Soudain Tosti, son frère, irrité de sa faveur, le saisit aux cheveux; on les sépare. Tosti s'en va à Hereford, où Harold avait fait préparer un grand banquet royal, tue les serviteurs d'Harold, leur coupe la tête et les membres qu'il met dans des vases de bière, de vin, d'hydromel et de cidre, et envoie dire au roi : « Si tu vas à ta ferme, tu y trouveras force chair salée, mais tu

>> Veut-on savoir

1. Pictorial history, I, 270. Vie de S. Wulston, évêque.

2. Tantæ sævitiæ irant fratres illi quod, cum alicujus nitidam villam conspicerent, dominatorem de nocti interfici juberent, totamque progeniem illius possessionemque defuncti obtinerent. >> Turner, III, 32. Henri de Huntington, VI, 367.

LITT. ANGL.

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feras bien d'emporter quelques autres pièces avec toi. » L'autre frère d'Harold, Sweyn, avait violé l'abbesse Edgive, assassiné le thane Beorn, et, banni du pays, s'était fait pirate. A voir leurs coups de main, leur férocité, leurs ricanements de cannibales, on devine qu'ils n'avaient pas beaucoup de chemin à faire pour redevenir rois de la mer et parents de ces sectateurs d'Odin qui mangeaient la chair crue, pendaient des hommes aux arbres sacrés d'Upsal en guise de victimes, et se tuaient eux-mêmes pour mourir dans le sang comme ils avaient vécu. Vingt fois le vieil instinct farouche reparaît sous la mince croûte de leur christianisme. Au onzième siècle, « Sigeward', le grand duc de Northumberland, atteint d'un flux de ventre et sentant sa mort prochaine : « Quelle honte pour moi, dit-il, de n'avoir << pu mourir dans tant de guerres, et de finir ainsi « de la mort des vaches! Au moins revêtez-moi de << ma cuirasse, ceignez-moi mon épée, mettez mon «< casque sur ma tête, mon bouclier dans ma main gauche, ma hache dorée dans ma main droite, << afin qu'un grand guerrier comme moi meure en << guerrier. » On fit comme il disait, et il mourut ainsi honorablement avec ses armes. » Ils avaient fait un pas hors de la barbarie, mais ce n'était qu'un pas.

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1. Penè gigas statura, dit le chroniqueur. 1055. Kemble, I, 393. Henri de Huntington, liv. VI, 367.

III

Sous cette barbarie native, il y avait des penchants nobles, inconnus au monde romain, et qui de ses débris devraient tirer un meilleur monde, Au premier rang, « un certain sérieux qui les écarte des sentiments frivoles et les mène sur la voie des sentiments élevés '. » Dès l'origine, en Germanie, on les trouve tels, sévères de mœurs, avec des inclinations graves et une dignité virile. Ils vivent solitairement, chacun près de la source ou du bois qui lui a plu. Même dans leurs villages, leurs chaumières ne se touchent pas; ils ont besoin d'indépendance et d'air libre. Nul goût pour la volupté chez eux l'amour est tardif, l'éducation dure, la nourriture simple; pour tous divertissements, ils chassent l'uroch et sautent parmi les épées nues. L'ivresse violente et les paris dangereux, c'est de ce côté qu'ils donnent prise; ils sont enclins à rechercher non les plaisirs doux, mais l'excitation forte. En toutes choses, dans les intincts rudes et dans les instincts mâles, ils sont des hommes. Chacun chez soi, sur sa terre et dans sa hutte, est maître de soi, debout et entier, sans que rien le courbe ou l'entame. Quand

1. Ein sinniger Ernst, der sie dem Eitlen entfuhrt, und auf die Spur des Erhabenen leitet.» Grimm, Mythologie, 53. Vorrede. 2. Tacite, XX, XXIII, XI, XII, XIII et passim. On peut voir encore les traces de ce goût dans les constructions anglaises.

la communauté prend quelque chose de lui, c'est qu'il l'accorde. Il vote armé dans toutes les grandes résolutions communes, juge dans l'assemblée, fait des alliances et des guerres privées, émigre, agit et ose'. L'Anglais moderne est déjà tout entier dans ce Saxon. S'il se plie, c'est qu'il veut bien se plier; il n'est pas moins capable d'abnégation que d'indépendance le sacrifice est fréquent ici, l'homme y fait bon marché de son sang et de sa vie. Chez Homère, le guerrier faiblit souvent, et on ne le blâme point de fuir. Dans les Sagas, dans l'Edda, il est tenu d'être trop brave; en Germanie, le lâche est noyé dans la boue, sous une claie. A travers les emportements de la brutalité primitive, on voit percer obscurément la grande idée du devoir, qui est celle de la contrainte exercée par soi sur soi en vue de quelque but noble. Chez eux le mariage est pur et la pudicité volontaire. Chez les Saxons, l'homme adultère est puni de mort, la femme obligée de se pendre, ou percée à coups de couteau par ses compagnes. Les femmes des Cimbres, ne pouvant obtenir de Marius la sauvegarde de leur chasteté, se sont tuées par multitudes de leur propre main. Ils croient qu'il y a dans les femmes « quelque chose de saint, » n'en épousent qu'une, et lui gardent leur foi. Depuis quinze siècles, l'idée du mariage n'a pas changé dans cette race. L'épouse, en entrant sous le toit de

1. Tacite, XII.

2. «Une fois mariées, ce sont exactement des couveuses occu

son mari, sait qu'elle se donne tout entière', « qu'elle n'aura avec lui qu'un corps, qu'une vie; qu'elle n'aura nulle pensée, nul désir au delà; qu'elle sera la compagne de ses périls et de ses travaux; qu'elle souffrira et osera autant que lui dans la paix et dans la guerre. » Comme elle, il sait se donner: quand il a choisi son chef, il s'oublie en lui, il lui attribue sa gloire, il se fait tuer pour lui; « celui-là est infâme pour toute sa vie, qui revient sans son chef du champ de bataille. » C'est sur cette subordination volontaire que s'assiéra la société féodale. L'homme, dans cette race, peut accepter un supérieur, être capable de dévouement et de respect. Replié sur lui-même par la tristesse et la rudesse de son climat, il a découvert la beauté morale pendant que les autres découvraient la beauté sensible. Cette espèce de brute nue qui gît tout le long du jour auprès de son feu, inerte et sale, occupée à manger et à dormir3, dont les organes rouillés ne peuvent suivre les linéaments nets et fins des heureuses formes poétiques, entrevoit le sublime dans ses rêves troubles. Il ne le figure pas, il le sent; sa religion est déjà intérieure, comme elle le sera lorsqu'au seizième siècle il rejettera le culte sensible importé de

pées à faire des enfants, et en adoration perpétuelle devant le faiseur. Stendhal, de l'Amour en Allemagne.

1. Tacite, XIX, VIII, XVI. Kemble, 1, 232.

2. Tacite, XIV, Kemble, I, 32.

3. In omni domo, nudi et sordidi.... Plus per otium transigunt, dediti somno, ciboque; totos dies juxta focum atque ignem agunt.

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