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Sa prose et ses

Comment les

idées scolastiques. — Comment dans son siècle il est isolé. VI. Liaison de la philosophie et de la poésie. idées générales ont péri sous la philosophie scolastique. Pourquoi la poésie périt. Comparaison de la civilisation et de la décadence au moyen âge et en Espagne. - Extinction de la littérature anglaise. Traducteurs. Rimeurs de chroni

ques.

Poëtes didactiques. Rédacteurs de moralités.

Gower. Occlève. Lydgate.

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Analogie du goût dans les

costumes, dans les bâtiments et dans la littérature.

Idée

triste du hasard et de la misère humaine. - Hawes.- Barcklay. Skelton. Rudiments de la Réforme et de la Renaissance.

I

Cependant, à travers tant de tentatives infructueuses, dans la longue impuissance de la littérature normande qui se contentait de copier et de la littérature saxonne qui ne pouvait aboutir, la langue définitive s'était faite, et il y avait place pour un grand écrivain. Un homme supérieur parut, Jeffrey Chaucer, inventeur quoique disciple, original quoique traducteur, et qui, par son génie, son éducation et sa vie, se trouva capable de connaître et de peindre tout un monde, mais surtout de contenter le monde chevaleresque et les cours somptueuses qui brillaient sur les sommets'. Il en était, quoique lettré et versé dans toutes les branches de la scolastique, et il y eut si bien part, que sa vie fut d'un bout à l'autre celle d'un homme du monde et d'un

1. Né entre 1328 et 1345, mort en 1400.

homme d'action. Tour à tour on le voit à l'armée du roi Édouard, gentilhomme du roi, mari d'une demoiselle de la reine, muni d'une pension, pourvu de places, député au parlement, chevalier, fondateur d'une famille qui fit fortune jusqu'à s'allier plus tard à la race royale. Cependant il était dans les conseils du roi, beau-frère du duc de Lancastre, employé plusieurs fois en ambassades ouvertes ou en missions secrètes, à Florence, à Gênes, à Milan, en Flandre, négociateur en France pour le mariage du prince de Galles, parmi les hauts et les bas de la politique, disgracié, puis rétabli expérience des affaires, des voyages, de la guerre, de la cour, voilà une éducation tout autre que celle des livres. Comptez qu'il est à la cour d'Édouard III, la plus splendide de l'Europe, parmi les tournois, les entrées, les magnificences, qu'il figurait dans les pompes de France et de Milan, qu'il conversait avec Pétrarque, peut-être avec Boccace et Froissart, qu'il fut acteur et spectateur des plus beaux et des plus tragiques spectacles. Dans ces quelques mots, que de cérémonie et de cavalcades! quel défilé d'armures, de chevaux caparaçonnés, de dames parées! quel étalage de mœurs galantes et seigneuriales ! quel monde varié et brillant, capable de remplir l'esprit et les yeux d'un poëte! Comme Froissart et mieux que Froissart, il a pu peindre les châteaux des nobles, leurs entretiens, leurs amours, même quelque chose d'autre, et leur plaire par leur portrait.

II

Deux idées avaient soulevé le moyen âge hors de l'informe barbarie: l'une religieuse, qui avait dressé les gigantesques cathédrales et déraciné les populations pour les pousser sur la Terre sainte; l'autre séculière, qui avait bâti les forteresses féodales et planté l'homme de cœur debout et armé sur son domaine; l'une qui avait produit le héros aventureux, l'autre qui avait produit le moine mystique; l'une qui est la croyance en Dieu, l'autre qui est la croyance en soi. Toutes deux, excessives, avaient dégénéré par l'emportement de leur propre force: l'une avait exalté l'indépendance jusqu'à la révolte, l'autre avait égaré la piété jusqu'à l'enthousiasme; la première rendait l'homme impropre à la vie civile, la seconde retirait l'homme de la vie naturelle; l'une, instituant le désordre, dissolvait la société ; l'autre, intronisant la déraison, pervertissait l'intelligence. Il avait fallu réprimer la chevalerie qui aboutissait au brigandage et refréner la dévotion qui amenait la servitude. La féodalité turbulente s'était énervée comme la théocratie oppressive, et les deux grandes passions maîtresses, privées de leur sé ve et retranchées de leur tige, s'alanguissaient jusqu'à laisser la monotonie de l'habitude et le goût du monde germer à leur place et fleurir sous leur nom.

Insensiblement le sérieux diminue dans les écrits

comme dans les mœurs, dans les œuvres d'art comme dans les écrits. L'architecture, au lieu d'être la servante de la foi, devient l'esclave de la fantaisie. Elle s'exagère, elle poursuit les ornements, elle oublie l'ensemble pour les détails, elle lance ses clochers à des hauteurs démesurées, elle festonne ses églises de dais, de pinacles, de trèfles en pignons, de galeries à jour : « Son unique souci est de monter toujours, de revêtir l'édifice sacré d'une éblouissante parure qui le fait ressembler à une fiancée 1. » Devant cette merveilleuse dentelle, quelle émotion peut-on avoir sinon l'étonnement agréable? et que devient le sentiment chrétien devant ces décorations d'opéra? Pareillement la littérature s'amuse. Au dix-huitième siècle, second âge de la monarchie absolue, on vit d'un côté les pompons, les coupoles enguirlandées, de l'autre les jolis vers de société, les romans musqués et égrillards remplacer les lignes sévères et les écrits nobles. Pareillement au quatorzième siècle, second âge du monde féodal, on voit d'un côté les guipures de pierre et la svelte efflorescence des formes aériennes, de l'autre les vers raffinés et les contes divertissants remplacer la vieille architecture grandiose et la vieille épopée simple. Ce n'est plus le trop-plein d'un sentiment vrai, c'est le besoin d'excitation qui les produit. Considérez Chaucer, quels sont ses sujets et comment il les choisit. Il va les quêter partout, en Italie, en

1. Renan, de l'Art au moyen âge.

France, dans les légendes populaires, dans les vieux classiques. Ses lecteurs ont besoin de diversité, et son office est de les « fournir de beaux dits: » c'est l'office du poëte en ce temps'. Les seigneurs à table ont achevé leur dîner, les ménestrels viennent chanter, la clarté des torches tombe sur le velours et l'hermine, sur les figures fantastiques, les bigarrures, les broderies ouvragées des longues robes; à ce moment le poëte arrive, offre son manuscrit « richement enluminé, relié en violet cramoisi, embelli de fermoirs, de bossettes d'argent, de roses d'or; » on lui demande de quoi il traite, et il répond « d'amour. »

III

En effet, c'est le sujet le plus agréable, le plus propre à faire couler doucement les heures du soir, entre la coupe de vin épicé et les parfums qui brûlent dans la chambre. Chaucer traduit d'abord le grand magasin de galanterie, le roman de la Rose. Nul passe-temps plus joli: il s'agit d'une rose que l'amant veut cueillir, on devine bien laquelle; les peintures du mois de mai, des bosquets, de la terre parée, des haies reverdies, foisonnent et fleuronnent. Puis viennent les portraits des dames riantes, Richesse, Franchise, Gaieté, et par contraste, ceux des personnages tristes, Danger, Travail, tous abon

1. Voy. Froissart, sa vie chez le comte de Foix et chez le roi Richard II.

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