Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Dorat. Je cherche les rochers, et les antres funebres,
J'aime à m'enfevelir dans l'horreur des ténebres;
Là, plein de mes ennuis, indigné de mes fers,
Je voudrois me cacher aux yeux de l'Univers.
Là, j'appelle Héloïfe, et dans ma fombre ivresse,
Je crois entendre encor ta voix enchantereffe.
Un lamentable écho, fur les ailes des vents,empire
Semble, me renvoyer tes-longs gémiffemens,
Et, fans ceffe frappant mon oreille surprise,
Répeté en fons plaintifs, Héloïfe... Héloïfe....

Je defcends quelquefois dans le Temple facré,
Et, fixant les tombeaux, dont je fuis entouré,
Avec recueillement je me dis en moi-même:
Voilà donc la demeure, et l'afyle fuprême,...
Le terme, où les Amans heureux ou malheureux
Verront s'évanouir leur tendreffe et leurs feux.
De moment en moment, il vient ce jour horrible,
Où la mort glace enfin le coeur le plus fenfible
Et c'eft-là qu' Abailard, pour toujours renfermé,
Ne fe fouviendra plus d'avoir jamais aimé....
Là fe perdent les rangs.. les vertus et les charmes;
Après de triftes jours, prolongés dans les larmes,
C'est donc là qu' Héloïfe!... et foudain oppreffé,
Au milieu des cercueils je tombe renverfé.

[ocr errors]

Prends pitié de mes maux, du feu qui me con-
fume..

De ce poifon brûlant, tout aigrit l'amertume;
Tout me bleffe et me nuit... ah! penetre avec moi
Dans les replis d'un coeur qui ne s'ouvre qu'à toi.
Combien je fuis changé! moi-même j'en friffonne,
Je haïs et je maudis tout ce qui m'environne,
Et n'applaudis fouvent de regner dans ces lieux,
Ou je fers de Miniftre à la rigueur des Cieux.
J'appefantis le joug de mes jeunes victimes,
Ma jaloule fureur les punit de mes crimes.
J'aime à voir la pâleur de leurs fronts penitens,
Et l'aspect de leurs maux adoucit mes tourmens
Héloïfe! à quel point de défespoir je m'égare!
Qui l'eût penfé, qu'un jour je deviendrois barbare!

Tu

Dorat.

Tule fais, Héloïfe, en des tems plus heureux
Je fus, ainfi que toi, fenfible et généreux,
L'indigence jamais ne me fut importune,
J'ouvrois mon âme entiere aux cris de l'infortune:
Autant que je l'ai pû, dans mes obfcurs deftins,
J'ai goûté la douceur d'être utile aux humains.
La bienfaisance, alors fûre de mon hommage,
Pour entrer dans mon coeur, empruntoitton image.
En vain mes ennemis, ardens perfécuteurs,
Diffamoient faintement ma croyance et mes moeurs;
Pour mieux m'affaffiner, fe paroient d'un beau Zele,
Sembloient d'un Dieu vengeur embraffer la querelle,
Et, défendant par-tout qu'on ofât m'approcher,
Déja, pour plaire au Ciel, allumoient mon bucher;
Je riois, fur ton fein, de leur haine farouche,
Et j'étois confolé par un mot de ta bouche:
Je plaignois ces Mortels, ces Savans ténébreux,
Toujours vils et cruels, et fouvent dangereux;
J'oubliois, avec toi, ces abfurdes fyftêmes,
Démentis l'un pour l'autre, et détruits par eux-mê-

mes;

Et je favois unir, par un heureux lien,

[ocr errors]

Les plaifirs d'un Amant aux devoirs d'un Chretien.

O jours trop fortunés... ô jours de mon ivref

fe!

Où je laissois, fans crainte, éclater ma tendreffe;
Où rien n'interrompoit ce commerce enchanteur,
Ce doux épanchement de l'efprit et du coeur,
Où libre de te voir, et chargé de t'inftruire,
J'aimois à t'égarer, au lieu de te conduire;
Où pour toute leçon, à tes pieds profterné,
Je te peignois l'amour que tu m'avois donné!.
Tu n'as point oublié cet inftant de ma gloire,
Ce momens où j'obtins la premiere victoire.
Les parfums du matin s'exhaloient dans les airs;
Un jour voluptueux coloroit l'Univers.
Plus riante et plus belle, au gré de mon ivreffe,
La nature fembloit preffentir ta foibleffe..
Tes yeux, qu' obfcurciffoit une douce vapeur,
S'ouvroient fur Abailard avec plus de langueur.

Ma

Dorat.

Ma main fous un berceau te conduifit tremblante,
J'entendis foupirer ta vertu chancelante;
Mes regards enflammés t'exprimoient le defir;
J'appercus dans les tiens le fignal du plaifir...
Je volai dans tes bras... en vain ta voix éteinte,
A travers cent bailers murmuroit quelque plainte,
Je ne t'écoutois plus, je n'entendois plus rien;
Heureux par mon tranfport, plus heureux par le
tien.

Ah! détourne les yeux de ce tableau profane, Tout me confterne ici, m'accufe et me condamne. Devant moi fe découvre un avenir vengeur;

Et la voix de mon Dieu tonne au fond du mon

[blocks in formation]

Toi! qui creufas l'abime, où ton courroux me laif-
fel,

J'efperois que ton bras foutiendroit ma foibleffe;
J'ai cru que ta bonté defcendroit jufqu'à moi;
crû
Et que les paffions fe taifoient devant toi:

Hélas! dans ces reduits ont-elles plus d'empire?
Seroit-il des penchans que tu ne peux détruire?
Je pleure, je gémis, et les nuits et les jours;
Je me repens, t'implore, et je brûle toujours.
Frappe enfin, et punis un Mortel qui t'offenfe:
Fais, au pied de l'Autel, éclater vengeance;
Et, puisque tu n'as pû m'arracher mon penchant,
Pour éteindre l'amour, anéantis l'Amant.

O ma chere Héloïle, ô toi que j'ai perdue,"
Toi, que j'égare encore, éloigné de ta vue:
Où me cacher! Où fuir un feu trop dévorant
Qui vit dans mes foupirs et coule avec mon fang?
Cette terre où je rampe a-t-elle affés d'abimes,
Si l'oeil perçant d'un Dieu vient à compter mes cri-
mes!

Que de foibles Mortels mon exemple a feduits!
Que de coupables feux, par les miens enhardis!
Dans les lieux les plus faints nos fautes font con-

nues;

Nos Lettres, tu le fais, font par-tout répandues,

On

1

On les lit, on s'y plaît, on y puile un poison,
Qui, pour aller au coeur, enivre la railon:
La jeuneffe, livrée à tout ce qui l'abuse,
Dans fes déréglemens nous cite par excufe:
Notre amour malheureux fait encor des jaloux,
Et ce n'eft point pécher, que pécher après nous..

Il eft tems, il eft tems de fe vaincre foi-même,
De contraindre nos feux à cet effort fuprême:
Nos longs égaremens, fources de nos malheurs,
Veulent pour s'expier, de la honte et des pleurs.
Pleurons, et rougiffons; du fein de la pouffiere,
Elevons vers le Ciel notre ardente priere;
Peut-être que ce Ciel, à la fin défarmé,
Au cri du repentir ne fera plus fermé..

Ceffe de m'inviter, hélas! trop indifcrete,
A venir partager tes loins et ta retraite;
Qui, moi! de tes devoirs foulager le fardeau,
Diriger de tès Soeurs le docile troupeau;
Les fauver des périls que pour moi je redoute,
Des vertus que je fuis, leur applanir la route!
Moi! j'irois dans des lieux où tes jeunes attraits...
Non, ce n'eft plus pour moi que ces plaifirs font
faits.

Sous un chêne, brifé par les coups du Tonnerre,
Voit-on fe repofer la timide Bergere?
Voit-on, dans la prairie, un effain attaché
Sur le pavot mourant ou le lis defféché?

Si tu pouvois me voir, l'oeil creufé par les lar

mes,

Baiffant toujours ce front qui t'offrit quelques char

mes;

De Spectres effrayans toujours environné,
Sombre, défait comme eux, et comme eux décharné:
Tu voudrois bien plutôt éviter cette image;
Et, loin de le chercher, tu fuirois mon paffage.
Ne me prodigue plus le nom de Fondateur,
Je fuis un malheureux, je fuis un corrupteur,

Doral.

Dorat. Qui, dans l'affreux moment où la Raifon l'éclaire,
Fremit de fon amour, que pourtant il préfere;
Arrache, avec effort, un coeur trop criminel.
Qui, la bouche collée aux Marches de l'Autel,
Dans la Religion espérant un refuge,

Attend la grace encore, où l'arrêt de fon Juge.

Joins tes remords aux miens, fur-tout ne
m'écris plus:

Cachons-nous déformais des foupirs fuperflus:
Oui laiffons entre nous un intervalle immenfe;
Efpérons tout du tems, et fur- tout du filence:
Va, ceffe de cherir un fantôme d'Amant,
Que l'amour feul anime et dispute au néant.
Dieu le veut... dans fon Temple enfevelis tes char

mes:

Offre à ce Dieu jaloux tes pénitentes larmes ;
Et que ces pleurs enfin effacent, à leur tour,
Tous les pleurs qu' Héloïse a verfés pour l'Amour.

Si la mort, dans ces lieux, devançant ma vieil

leffe

Vient terminer des jours, tiffus par la trifteffe;
Je veux qu'au Paraclet Abailard foit porté;
Et, que dans cet état, il te foit présenté;
Non, pour te demander un regret inutile,
Mais, pour fortifier ta piété fragile;
Plus éloquent que moi, ce fpectacle cruel
Te dira ce qu'on aime, en aimant un mortel,

« AnteriorContinuar »