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chef-d'œuvre inimitable? il faudroit, pour cela, que l'art même daignât m'inspirer et conduire ma plume. Les traits que je viens de crayonner, je les dépose à tes pieds: ainsi ceux qui ne pouvoient atteindre jusqu'à la tête de la divinité qu'ils adoroient, mettoient à ses pieds les guirlandes dont ils vouloient la couronner.» (WINKELMANN, Histoire de l'art chez les anciens, tom. III, liv. vi, ch. vi.)

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Le tableau de la Transfiguration passe pour le chefd'œuvre d'un peintre qui n'a fait que des chefs-d'œuvre, et qu'une mort prématurée a seule empêché, peutêtre, d'atteindre à cette perfection qui semble interdite à la main des hommes. On sait que Raphaël destinoit son ouvrage à François Ier, dont les bienfaits alloient dans toute l'Europe chercher la reconnoissance des talents. La cour de Rome ne voulut point accomplir la dernière volonté de Raphaël; mais elle ordonna que le tableau de la Transfiguration seroit porté en pompe à ses funérailles. Nous avons vu au salon un tableau représentant la mort de Raphaël : le peintre a marqué avec beaucoup d'expression et de vérité le deuil que ce triste événement répandit dans les arts, dans les lettres, et parmi les personnages les plus illustres de la cour de Léon X. Le tableau de la Transfiguration, placé dans le lointain, rappelle les honneurs funèbres qui furent rendus à son auteur. Cette composition ingénieuse est de M. Monsiau, qui a fait pour les éditseur de ce poëme un dessin représentant aussi les derniers moments de Raphaël, tels que les a exprimés Delille, et dans une situation peut-être plus intéressante et plus pittoresque que le tableau dont je viens de parler.

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(10) Ah! jeune infortuné, digne d'un meilleur sort,
Hâte-toi, le temps fuit, achève ton ouvrage!
Si le destin sévère épargne ton jeune âge,
Tu seras Raphaël!

On aime à reconnoître ici ces vers admirables de Virgile, qui arrachèrent des larmes au maître du monde, et firent évanouir Octavie de saisissement et de douleur. Elle témoigna sa reconnoissance et son admiration au poëte, en lui faisant compter dix grands sesterces pour chaque vers (environ 32,500 fr.). Au reste, il n'y a de ressemblance entre le jeune Marcellus et Raphaël, que celle d'une fin prématurée, et j'ose croire que l'imitation de ce morceau célébre pourroit être placée plus heureusement. Tu Marcellus eris rappeloit un des plus illustres aïeux du jeune prince, Marcus Claudius Marcellus, surnommé l'Épée de Rome, qui fut cinq fois consul, et qui périt en combattant contre Annibal, après avoir gagné deux batailles. C'est à ce grand homme que Virgile fait allusion: ce sont les mêmes triomphes qu'il promet au fils d'Octavie, s'il peut vaincre sa destinée. Tu seras Raphaël n'a ni le même intérêt, ni le méme sens. Ici les regrets du poëte portent sur le tableau qui reste imparfait; mais Raphaël n'avoit pas besoin de vivre davantage pour être lui-même, encore moins pour égaler les artistes qui l'avoient précédé: il a même vécu assez pour servir à jamais de modèle à ceux qui sont venus et qui viendront après lui.

Au reste, nous croyons pouvoir adopter ici la conjecture d'un des amis les plus distingués de Delille, M. de Choiseul-Gouffier, qui pense que ces vers furent destinés d'abord à un artiste trop tôt enlevé aux arts, au jeune Drouais, mort à Rome en 1790; et qu'ils seront rentrés dans ce beau morceau, en quelque sorte, à l'insu de l'auteur, qui, privé de la vue, ne pouvoit pas toujours revoir l'ensemble de ses productions, et en lier les diverses parties autant qu'il auroit été à desirer.

(") Où Raphaël peignoit, comme a chanté Virgile.

On se rappelle les beaux vers du poëme des Jardins (ch. II), où Delille s'écrie, dans l'enthousiasme de son admiration pour Virgile:

J'irai: de l'Apennin je franchirai les cimes!

J'irai, plein de son nom, plein de ses vers sacrés,
Les lire aux mêmes lieux qui les ont inspirés.

Il renouvelle ici le même vou, fait le même serment: mais les évènements de la révolution, et l'état presque complet de cécité qui affligea le poëte pendant les dernières années de sa vie, mirent un invincible obstacle à l'exécution de son projet.

(12) Mais le temps ne peut rien sur les vers du poëte,
Et dans le Vatican, par le temps outragés,

Les traits de Raphaël périssent négligés!

Il est ici question de ces fameuses salles (Stanze ) du Vatican, où Raphaël a peint la bataille de Constantin, Héliodore chassé du Temple, l'école d'Athènes, saint Pierre sortant de prison, et autres fresques, qui ont le plus contribué à lui assurer la réputation colossale dont il jouit. Ces chefsd'œuvre ont déja beaucoup souffert des injures du temps, et n'ont pas été conservés avec les soins religieux qu'ils méritoient.

(13) Ainsi sur mille tons le fameux Timothée, etc.

Delille nous rappelle ici l'ode fameuse de Dryden, on St Cecilia's day, dans laquelle le poëte a si heureusement réalisé les prodiges attribués à la lyre, ou plutôt à la cithare de onze cordes du musicien Timothée. L'estimable auteur de la Poétique anglaise, M. Hennet, a donné une imitation en vers de la pièce de Dryden. ( Tom. III, p. 69.)

(14) Le ciel semble appuyé sur sa vaste rotonde,

De sa hauteur sacrée elle commande au monde.

Il n'y a plus rien à dire sur cet édifice, qui est peut-être le prodige de l'architecture ancienne et moderne, et, qui à l'extérieur, et sur-tout à l'intérieur, produit, au premier coup d'œil, un effet extraordinaire, quelle que soit l'idée qu'on s'en est formée d'avance. On ne sait ce qu'on doit admirer le plus, ou de la hardiesse de ce Panthéon élevé dans les airs, ou des belles proportions qui règnent dans tous les détails. Si quelque Grec ou Romain reparaissoit en Europe, parmi les ouvrages sortis des mains des hommes, l'église de Saint Pierre seroit probablement un de ceux qui lui causeroient le plus grand étonnement.

Toutefois, la magnificence de ce monument n'est peutêtre pas égalée par sa solidité, et il est fâcheux que Bramante et Michel-Ange aient ignoré, ou aient négligé d'appliquer à leur ouvrage le procédé employé, dix siècles auparavant, pour la coupole de l'église de Sainte-Sophie. Cet édifice, par son ingénieuse construction, a constamment résisté aux nombreux et terribles tremblements de terre, qui, à diverses époques, renversèrent la ville de Constantinople. Tandis que le dôme de Saint-Pierre écrase ses énormes fondements, et s'entr'ouvre, vaincu par sa propre solidité, celui de Sainte-Sophie résiste par la légèreté même des matériaux dont il est formé; les historiens du temps nous apprennent que cette vaste coupole est construite de pierresponces réunies par un ciment versé avec abondance, et qui, pénétrant ces pierres poreuses, forme, par leur adhérence et sa ténacité, une voûte entière d'une seule pierre. Conservant une légèreté, que par tout autre moyen il seroit impossible d'obtenir, cette voûte ne fait aucun effort latéral, et ne pèse même que bien foiblement sur les piliers qui la soutiennent; elle est inébranlable, précisément parcequ'elle est légère.

Guidés par ce principe, les anciens ont quelquefois sup

pléé les pierres-ponces par le plus ingénieux moyen, en leur substituant des pots ou caisses de terre cuite, successivement engrenés, et que joint et recouvre une couche de mortier.

Ce procédé a été récemment essayé avec succès à Paris: appliqué au dôme de Sainte-Geneviève, il eût épargné tout àla-fois plusieurs millions, de longues disputes, des craintes très fondées, et enfin les nouvelles constructions, exigées pour la sûreté de l'édifice.

(15) Et pourrai-je oublier tes talents et ton zèle,

O toi de l'amitié le plus parfait modèle,

Respectable Ledoux! artiste citoyen...
C'étoit peu d'élever ces portes magnifiques,

De la ville des rois majestueux portiques,

A l'honneur des Français que n'eût point ajouté
Le généreux projet de ta vaste cité!

Ledoux, célèbre architecte, étoit un homme de parfaite probité, qui ruina ceux dont il obtint la confiance, et un artiste distingué, que son imagination trop ardente jeta dans de perpétuels écarts. Il avoit été chargé de construire autour de Paris une longue muraille destinée à diminuer les abus de la contrebande, qui se faisoit par trop facilement sous une indulgente administration. Cette enceinte assuroit une augmentation de revenu au gouvernement. Les fermiers-généraux en firent les frais, et consentirent généreusement à supporter aussi ceux des monuments dont Ledoux ambitionnoit d'enrichir les nombreuses portes de la capitale. Ces petits édifices sont presque tous sans aucune utilité; mais il en est plusieurs qui font grand honneur au goût de l'artiste.

Ce succès l'encouragea à suivre avec plus d'ardeur que jamais le projet qui, depuis sa jeunesse, absorboit toute la chaleur de sa tête; et il ne cessa de perfectionner les plans d'une ville imaginaire, dans laquelle se seroient trouvés réunis, et placés dans les rapports les plus convenables, tous les

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