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Trois fois de son forfait veut soulever le poids;
Sur son trop foible cœur il retombe trois fois.
Impatiente enfin du fardeau qui l'accable,
Elle laisse échapper cet aveu redoutable;
Et, la rougeur au front, du ministre des cieux
Son repentir tremblant interroge les yeux.
Tant de malheur l'émeut, tant de remords le touche,
Et des mots consolants sont sortis de sa bouche.
Alors elle respire, alors ses pleurs taris
Commencent à couler de ses yeux attendris ;
Non plus ces pleurs cruels arrachés par la rage,
Qui de leurs flots brûlants sillonnoient son visage;
Mais ces pleurs bienfaisants, ces pleurs délicieux
Que donne aux cœurs touchés l'indulgence des cieux;
Semblables en leur cours à la douce rosée

Qui rafraîchit le sein de la terre embrasée.
Tourné tantôt vers elle, et tantôt vers le ciel,
Le prêtre enfin pardonne au nom de l'Éternel.
Ah! qui peut exprimer ce moment plein de charmes?
Elle offre à Dieu son coeur, ses prières, ses larmes,
Sent calmer ses tourments, ses remords douloureux,
Et s'accorde un pardon qu'ont accordé les cieux.
Dès-lors quel changement dans la nature entière !
L'air reprend sa douceur, le soleil sa lumière :
Tel qu'un stérile arbuste à la terre arraché,
Son coeur dans l'abandon languissoit desséché;
De joie et de bonheur un doux torrent l'inonde;
Elle renaît au ciel, elle renaît au monde ;

Et, sûre d'y trouver un Dieu consolateur,
Elle ose sans effroi descendre dans son cœur.
Enfin, tout est possible au Dieu qui la rassure .
Elle entend sans frémir la voix de la nature.
Une boîte en son sein gardoit fidélement

Les traits jadis si doux d'un père et d'un amant;
Vingt fois d'espoir, de crainte et d'amour enivrée,
Elle essaya d'ouvrir cette boîte adorée,
Et vingt fois, écoutant sa secréte terreur,
Sa main l'avoit soudain fermée avec horreur.
Plus confiante, enfin, elle ose davantage;
Du Christ, en son asile, elle adoroit l'image;
Elle-même à ses pieds place les deux portraits;
Tremblante, elle s'essaie à supporter leurs traits.
Il sembloit que du haut de la croix tutélaire,
Dieu réconcilioit son amant et son père;
Elle-même espérant les revoir plus heureux,
Osoit déja les joindre et se placer entre eux.
Son bonheur renaissoit, quand ses forces, lassées
Par le long sentiment de ses douleurs passées,
Succombèrent enfin; son simple et vieux pasteur
A ses derniers moments vint soutenir son cœur.
Elle, serrant la main de l'ami qui la pleure :
« Adieu donc, je vais voir la paisible demeure
Où le malheur repose, où le remords s'éteint.
Malgré mon crime affreux, Dieu sans doute me plaint.
Un aveugle transport m'a fait commettre un crime,
Mais au courroux d'un Dieu j'offre un Dieu pour victime;

Je vais me présenter devant ses yeux vengeurs,
Couverte de son sang, couverte de ses pleurs.
O toi, dont mes malheurs ont troublé la famille !
Ne sois pas plus que lui sévère pour ta fille;

Et toi, mortel trop cher, cause de tant de maux,
Ah! puissent nos trois cœurs!... » En prononçant ces mots,
L'oeil tourné vers les cieux où son espoir aspire,
Sans douleurs, sans regrets, doucement elle expire,
Et les anges en choeur ont proclamé son nom.
Charme heureux! charme pur de la religion,
Qui, des foibles mortels mère compatissante,
Et, plus que l'homme, même aux hommes indulgente,
Sur le crime qui pleure exerce un doux pouvoir,
Et lui rend les vertus, en lui rendant l'espoir!

NOTES

DU CHANT HUITIEME.

Non content de célébrer l'empire de l'imagination sur les objets nombreux où elle règne en souveraine avec une autorité exclusive, ou presque sans partage, notre poëte chante ses rapports les plus éloignés avec les objets sur lesquels elle n'a que l'influence la plus légère. Il est certain que tout se tient dans l'homme, et même dans la nature entière; tout se lie par des rapports plus ou moins délicats, plus ou moins visibles. Les esprits bornés n'aperçoivent point ces rapports; les esprits justes les aperçoivent, mais ils ne confondent point les objets, parcequ'ils voient aussi les limites qui les séparent. Les esprits brillants, les imaginations vives, franchissent ces limites, et se plaisent à réunir dans le même ordre d'idées, sous le même point de vue, et dans le même tableau, les objets les plus distincts et les plus réellement séparés. Telle est, en général, la manière de Delille. Elle l'a fait accuser de faire entrer dans chacune de ses compositions des objets qui y étoient assez étrangers, et de multiplier ainsi ses tableaux à l'infini. Mais comment ne pas s'abandonner au penchant de tout peindre, lorsque, comme lui, on avoit le talent de tout orner et de tout embellir?

Au reste, un pareil reproche ne pourroit s'appliquer à ce chant, par lequel il fait entrer dans le plan de son poëme la religion et les cultes. En effet, ces institutions sacrées sont de son domaine; elle y exerce un grand empire; c'est elle qui a créé les fausses religions; mais elle embellit aussi les

rites et les cérémonies de la religion véritable et révélée; elle donne de la pompe et de la magnificence à leurs pra tiques, de l'éclat et de la majesté à leurs fêtes, et n'a même pas toujours été sans une influence plus ou moins heureuse sur les sentiments qu'elles inspirent, sur les préceptes qu'elles donnent, sur les dogmes qu'elles enseignent. C'est l'imagination grossière des sauvages qui enfanta les dieux grossiers qu'ils adorent. La vive et féconde imagination des Grecs créa une mythologie riante, qui fut fixée et consacrée par leurs poëtes, et sur-tout par Homère, et adoptée ensuite par la sagesse et la gravité des Romains. Nourri à l'école de ces poëtes, échauffé par leurs inspirations, le génie de Delille ne pouvoit manquer de célébrer, dans des chants consacrés à la puissance de l'imagination, tant de merveilles créées par elle.

(1) Les animaux vivoient sans révolte et sans guerre;
Mais tous, d'un front servile, ils regardoient la terre:
Leur souverain, lui seul, marchant au milieu d'eux,
Levoit un front sublime, et regardoit les cieux.

Il n'est personne à qui les trois derniers vers de ce passage ne rappellent trois vers célèbres d'Ovide, dont ils sont une imitation sensible, ou plutôt même une assez fidéle traduction :

Pronaque dum spectent animalia cætera terram,
Os homini sublime dedit, cœlumque tueri
Jussit, et erectos ad sidera tollere voltus.

Cette belle idée d'Ovide, cette pensée éminemment religieuse, ne pouvoit échapper à l'auteur du poëme de la Réligion; Racine le fils s'en est donc aussi emparé, et l'a ainsi imitée:

Le roi pour qui sont faits tant de biens précieux,
L'homme élève un front noble et regarde les cieux.

Imitation sèche et mesquine. Racine a passé sous silence la

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